Actuellement, les expressions « violence sexospécifique », « violence basée sur le genre » et « violence sexiste » renvoient presque exclusivement aux souffrances infligées aux filles et aux femmes par des individus de sexe masculin. Cet usage restrictif méconnaît le fait que les hommes puissent être victimes et les femmes, agresseurs. Le propos poursuivi dans le présent article n’est certainement pas de minimiser les tourments endurés par les femmes mais plutôt d’élargir la notion de violence liée au genre. De plus, nous le verrons, ignorer ou nier les violences faites aux hommes aggrave les difficultés rencontrées par les femmes. En effet, un homme victime, atteint dans sa virilité, est susceptible de décharger violemment ses frustrations et sa rancœur, notamment sur les femmes. Nous nous proposons donc d’aborder les violences dont sont victimes les hommes du fait de leur genre.
Les violences sexospécifiques et sexuelles à l’égard des hommes
Evelyne josse
2007
http://www.resilience.netfirms.com
14 avenue Fond du Diable, 1310 La Hulpe , Belgique
Psychologue clinicienne. Hypnose éricksonnienne, EMDR, thérapie brève
Psychothérapeute en consultation privée, psychologue du programme ASAB, expert en hypnose judiciaire, consultante en psychologie humanitaire
Introduction
Notions de base
1. Genre et sexe
2. La violence sexospécifique
2.1. La violence basée sur le genre
2.2. La violence sexuelle
3. Les violences sexospécifiques et sexuelles à l’égard des hommes, un phénomène peu connu
3.1. Les violences sexospécifiques
3.2. Les violences sexuelles
Victime directe et victime indirecte
1. L’homme victime directe
2. L’homme victime indirecte
Les déterminants de la violence sexuelle
La virilité
La loi du plus fort
Le virilisme
Les violences sexospécifiques et sexuelles dans les contextes de conflits armés
1. Les violences sexospécifiques
2. Les violences sexuelles
Les violences sexospécifiques et sexuelles en temps de paix
1. Les violences sexospécifiques
2. Les violences sexuelles
2.1. Les violences sexuelles dans les institutions pénitentiaires
2.1.1. Les violences sexospécifiques et sexuelles entre détenus
2.1.2. Les violences sexospécifiques et sexuelles exercées par le personnel carcéral
2.2. Les minorités sexuelles
2.2.1. L’orientation sexuelle et les dysphories de genre
2.2.2. Les couples homosexuels
Bibliographie
Référence du présent article : « Les violences sexospécifques et sexuelles faites aux hommes », Evelyne Josse, 2007, http://www.resilience.netfirms.com
« Vous me dévisagez. Vous avez peur. J’ai quelque chose de fiévreux dans le teint qui vous inquiète. Je souris. Je tremble. Un homme brûlé, pensez-vous. Je ne lève pas les yeux. Je sursaute souvent, au moindre bruit, au moindre geste. Je suis occupé à lutter contre des choses que vous ne voyez pas, que vous seriez même incapables d’imaginer. Vous me plaignez, et vous avez raison. Mais je n’ai pas toujours été ainsi. Je fus un homme autrefois. »
(“Dans la nuit Mozambique”, Laurent Gaudé)
Introduction
Actuellement, les expressions « violence sexospécifique », « violence basée sur le genre » et « violence sexiste » renvoient presque exclusivement aux souffrances infligées aux filles et aux femmes par des individus de sexe masculin. Cet usage restrictif méconnaît le fait que les hommes puissent être victimes et les femmes, agresseurs. Le propos poursuivi dans le présent article n’est certainement pas de minimiser les tourments endurés par les femmes mais plutôt d’élargir la notion de violence liée au genre. Nous nous proposons donc d’aborder les violences dont sont victimes les hommes du fait de leur sexe.
La violence sexospécifique et sexuelle à l’égard des hommes cause des dommages physiques et psychologiques souvent irrémédiables. Les infirmités et les syndromes psychotraumatiques dont ils souffrent pervertissent leurs capacités à maintenir des relations de qualité avec leur famille et leur communauté. Un homme avili par une agression sexuelle et mortifié par la culpabilité ou la colère d’avoir du se soumettre sans pouvoir se défendre peut s’abandonner à l’alcool ou à la drogue, se replier sur lui-même, souffrir d’un dysfonctionnement sexuel et devenir violent avec ses proches. Il en est de même pour un soldat démobilisé, traumatisé par ses expériences dans les forces combattantes tout comme pour un détenu relaxé, violé ou torturé durant son incarcération. La transmission du virus du SIDA est une des autres conséquences dévastatrices des violences faites aux hommes, un homme infecté lors d’un viol ou de rapports forcés risquant ensuite de contaminer ses partenaires.
Soulignons qu’ignorer ou nier les violences faites aux hommes aggrave les difficultés rencontrées par les femmes. En effet, un homme victime, atteint dans sa virilité, est susceptible de décharger violemment ses frustrations et sa rancœur, notamment sur les femmes (y compris sur sa compagne). L’agression subie par un homme peut ainsi déclencher ou entretenir le cycle de la violence.
L’analyse des violences en terme de genre devrait permettre de comprendre non seulement comment les violences affectent les individus en fonction de leur sexe mais également comment elles altèrent leurs relations de genre.
Notions de base
1. Genre et sexe
La distinction entre « sexe » et « genre » a émergé à la fin des années ’60 dans la mouvance féministe anglo-saxonne.
Le terme « sexe » désigne une spécificité biologique des êtres humains qui les divise en deux catégories, celle des hommes et celle des femmes. Le terme « genre » renvoie quant à lui à un principe d’organisation sociale. Il fait référence aux spécificités sociales des individus dans leur communauté et dans leur culture en fonction de leur sexe. Chaque société établit des règles spécifiques pour ses membres, enfants et adultes, selon qu’ils sont de sexe féminin ou de sexe masculin. Ces règles, implicites et explicites, déterminent les rôles, les statuts, les responsabilités, les obligations, les activités, les pratiques, les modes relationnels entre hommes et femmes, les attitudes et les comportements acceptables et appropriés pour chacun, dans chaque situation, en fonction de son sexe.
En anglais, le mot « sex » définit strictement le caractère biologique de la sexuation tandis que « gender » renvoie à sa dimension sociale. Bien qu’en français le terme « sexe » convienne pour désigner ces deux notions, l’usage du mot « genre » s’est peu à peu imposé dans le langage des organisations combattant la violence et l’inégalité des sexes.
2. La violence sexospécifique
2.1. La violence basée sur le genre
On nomme violence basée sur le genre (en anglais, gender-based violence ou GBV), violence sexospécifique ou encore violence sexiste, tout acte perpétré contre la volonté d’une personne et résultant de sa détermination biologique ou de son rôle spécifique en tant qu’être sexué. Elle se manifeste sous la forme de croyances, de traditions, de comportements ou d’attitudes dommageables envers les individus en fonction de leur sexe. Les personnes des deux sexes peuvent en être la cible.
Nous l’avons déjà relevé, les expressions « gender – based violence » et « violence basée sur le genre » sont abusivement utilisées comme synonyme de violence contre les filles et les femmes. Il est vrai qu’elles sont plus fréquemment la cible d’agressions sexospécifiques que leurs pairs masculins. Néanmoins, ces derniers sont eux aussi exposés à des violences du fait de leur genre. Par exemple, les adolescents et les hommes seront incorporés dans les forces armées, parfois contre leur gré, selon le concept ancestral que les hommes sont taillés pour faire la guerre.
2.2. La violence sexuelle
La violence sexuelle peut-être définie comme « tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d’une personne utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais s’en s’y limiter, le foyer et le travail »[1].
Partout dans le monde et tous contextes confondus, les filles et les femmes risquent davantage d’être sexuellement agressées au cours de leur existence. Néanmoins, force est de constater que certaines situations exposent les individus masculins à de graves menaces :
ð Durant les conflits armés, les hommes sont de plus en plus souvent la cible de violences à caractère sexuel, notamment de viols.
ð Les détenus font fréquemment l’objet de sévices sexuels graves et répétés (viol, esclavage, torture, mutilation, etc.) tant dans les centres de détention en temps de guerre que dans les institutions carcérales en temps de paix.
ð De nombreux homosexuels sont l’objet d’agression sexuelle de la part de leur partenaire intime.
La violence sexuelle commise à l’égard d’un homme est rarement justifiée par le seul besoin sexuel de l’agresseur. Plus généralement, elle constitue un moyen de conquérir le pouvoir ainsi qu’un instrument de contrôle et d’humiliation.
3. Les violences sexospécifiques et sexuelles à l’égard des hommes, un phénomène peu connu
3.1. Les violences sexospécifiques
Les hommes sont plus fréquemment que les femmes la cible de la violence politique. Ce phénomène tient principalement à la sous-représentation des femmes dans la vie publique et ce, dans toutes les sociétés.
Lorsque des hommes sont arrêtés, incarcérés, torturés ou exécutés de manière arbitraire en raison de leurs opinions ou de leurs activités politiques, ils ne sont pas visés spécifiquement parce qu’ils sont de sexe masculin. Il est donc abusif de qualifier ces violations aux Droits de l’Homme de violence sexospécifique. Néanmoins, dans cet article, nous avons choisi délibérément de les assimiler car elles résultent directement des rôles spécifiques tenus par les hommes dans la société. Ces violations sont, en effet, des conséquences funestes dérivant de la position dominante qu’ils détiennent du fait de leur genre.
Il est malaisé d’évaluer l’ampleur des violences sexospécifiques perpétrées à l’égard des hommes car les plaintes pour atteintes aux Droits de l’Homme sont rares.
q Les pressions. L’intimidation et le harcèlement des victimes ou de leur entourage dissuadent de porter plainte. Par exemple, des responsables de l’Etat achètent le silence des familles victimes de la disparition forcée d’un proche, celles-ci s’engageant à renoncer à toute poursuite judiciaire contre monnaie sonnante et trébuchante. D’autres familles sont contraintes de signer des formulaires attestant que leur parent disparu a été enlevé par des « terroristes » ou qu’il est décédé au cours d’un accrochage avec les services de sécurité.
q Les représailles. L’angoisse pour soi-même ou ses proches d’être l’objet de nouvelles agressions, voire d’assassinat, est ancrée en chaque victime.
q L’accès à la justice.
ð Le manque d’information. Nombre de victimes ignorent qu’elles peuvent déposer plainte ou méconnaissent les démarches à effectuer.
ð Les difficultés économiques. Dans de nombreux pays, l’accès à la justice nécessite des moyens financiers tels qu’elle est réservée aux plus nantis.
ð Le manque de confiance. Dans de nombreuses contrées, la population n’accorde que peu de confiance au système judiciaire en place. Dans les pays où règnent les violations aux Droits de l’Homme, les contrevenants sont généralement protégés par les institutions judiciaires car étant des suppôts du Pouvoir.
ð L’impunité des agresseurs. La faible probabilité d’obtenir gain de cause contre les agents de l’Etat (forces de sécurité, personnages haut placé, etc.) ou les membres influents du régime (dirigeants de parti, dignitaires religieux, etc.) découragent les victimes à porter plainte.
3.2. Les violences sexuelles
La violence sexuelle à l’égard des hommes est un phénomène peu connu. Ceci s’explique de diverses manières :
q La prévalence. Les agressions sexuelles exercées contre les hommes sont moins fréquentes que celles commises envers les femmes.
q La mortalité. De nombreux hommes violés sont ensuite tués par leur agresseur, succombent des suites de l’agression ou se suicident.
q La honte. Dans toutes les cultures, le dévoilement d’une agression sexuelle pose aux hommes un problème particulier en raison des conceptions, des mythes et des préjugés ancestraux liés aux stéréotypes masculins (par exemple : « Un homme est à même de se défendre », « Un homme ne peut être contraint à se livrer à une relation sexuelle s’il ne le désire pas », etc.). La honte de savoir brisée l’image de leur virilité les force au silence d’autant plus s’ils se sentent responsables de leur victimisation et se reprochent de ne pas avoir tenté ou réussi à se défendre.
q La stigmatisation.
Dans les conflits armés. La crainte d’être rejetés par leur épouse et d’être mis au ban de leur communauté décourage les hommes victimes de viol à porter plainte ou à adresser une demande d’aide aux services compétents.
Dans les centres de détention. Le risque d’être affligé d’une réputation d’homosexuel, de « femme » [2], d’ « intouchable »[3] ou de « balance » étant lié à celui d’être l’objet de nouvelles agressions sexuelles incite la plupart des victimes à se taire.
Dans les relations intimes entre homosexuels. En raison de la discrimination dont ils sont souvent l’objet, les homosexuels hésitent à s’adresser aux institutions ou aux organismes compétents. Ils redoutent la réaction de leurs interlocuteurs ainsi que les conséquences qu’entraînerait la divulgation de leur homosexualité (par exemple, risque de licenciement, perte de la garde de leurs enfants lorsqu’ils sont pères, etc.).
q Le risque de représailles.
Dans les centres de détention. En prison, la difficulté de la dénonciation des faits est majorée par la crainte des représailles de la part de l’agresseur ou de ses alliés (par exemple, les membres d’un même gang) avec lesquels la victime doit généralement continuer à vivre jusqu’à ce que sa plainte soit prise en considération (lorsqu’elle l’est)[4].
Dans les relations intimes entre homosexuels. Une victime peut craindre que son partenaire violent se venge en rendant publique son homosexualité (avec toutes les conséquences que cela suppose en terme d’emploi, de garde d’enfants, etc.).
q La crainte des conséquences.
Dans les centres de détention. Le détenu peut craindre d’être transféré dans un quartier de haute sécurité[5] (où les conditions sont très strictes) ou dans un autre établissement avec le risque d’être victime de nouvelles agressions et d’être privé de contacts avec sa famille en raison de l’éloignement géographique.
Dans le monde de la rue. Un lourd passé judiciaire, un avis de recherche lancé à son encontre ou une présence illégale sur un territoire national peut empêcher une victime de porter plainte pour les agressions subies.
q Les normes propres à une communauté.
ð La religion. Si elle condamne les relations homosexuelles, dussent-elles être contraintes, la religion de la victime représente un frein aux allégations d’agressions sexuelles.
ð Les normes propres à la culture. Certaines normes culturelles, par exemple l’interdiction de se plaindre, de faire étalage de ses difficultés ou de parler de son intimité, peuvent également être un obstacle.
q La législation. Dans de nombreux pays, la législation limite strictement le viol à la pénétration du pénis dans le vagin. Par exemple, jusqu’à très récemment[6], la législation congolaise définissait le viol comme : « La conjonction sexuelle que l’homme peut imposer à la femme par la violence. Autrement dit, l’acte par lequel une personne du sexe masculin a des relations sexuelles avec une personne de sexe féminin contre le gré de celle-ci, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale, soit qu’il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise ». L’introduction d’objets dans l’anus, la sodomie et les fellations forcées n’étaient pas qualifiées de viol, ce qui excluait les hommes du statut de victimes.
q Le manque d’accès aux services ad hoc.
ð Le manque d’information. Dans certains cas, les victimes ignorent qu’elles peuvent recourir à une aide, notamment médicale (en fonction des pays, citons la prévention et le traitement des infections sexuellement transmissibles, du SIDA[7] et de l´hépatite B, la prévention du tétanos et le traitement des lésions).
ð Le manque de structure. Dans de nombreuses contrées, les services d’aide aux victimes masculines de violence sont inexistants. Cette absence de structures adéquates ne promeut pas les allégations de violence sexuelle.
ð Les obstacles imposés par une autorité. Dans certains pays, les autorités pénitentiaires bloquent les dépôts de plainte.
q La minimisation du problème. Pour certains homosexuels, les agressions sexuelles s’inscrivent dans un continuum de violence verbale, physique et psychologique au sein de leur couple. Ils ne pensent pas à déclarer les rapports sexuels forcés car il leur est malaisé de les isoler des autres aspects de la violence qu’ils subissent.
q Les milieux où s’exercent les violences. Les milieux où s’exercent les violences contre les hommes fonctionnent généralement sur le secret et la loi du silence (foyer conjugal, institution carcérale, bandes marginales, etc.).
Victime directe et victime indirecte
L’homme peut être une victime directe (avoir subi lui-même une agression sexospécifique ou sexuelle) ou indirecte (avoir été témoin ou souffrir, d’une manière ou d’une autre, d’une violence subie par une autre personne).
1. L’homme victime directe
La violence sexospécifique et sexuelle que peut subir un homme revêt diverses formes :
q En temps de paix :
ð Les violences sexospécifiques : les arrestations et les détentions arbitraires, les exécutions extrajudiciaires, les assassinats politiques et les disparitions forcées.
ð Les violences sexuelles : le viol, l’esclavage sexuel, les rapports forcés et la maltraitance.
q En temps de guerre :
ð Les violences sexospécifiques : principalement l’enrôlement dans les forces combattantes, les arrestations et les détentions arbitraires ainsi que les exécutions sommaires.
ð Les violences sexuelles : principalement la torture et le viol.
Les principaux lieux où s’exerce la violence sexospécifique et sexuelle sont les centres de détention en temps de guerre et les institutions carcérales en temps de paix, les pays en guerre et les foyers homosexuels.
2. L’homme victime indirecte
Les hommes sont généralement concernés par le viol d’une femme ou d’une fillette au titre de mari, de père, de fils, de frère, etc. Ils peuvent donc être les victimes indirectes d’une agression sexuelle. Dans ce cas, il ont été témoin ou ont subi les conséquentes funestes d’une violence exercée à l’encontre d’un tiers, en général leur épouse ou leurs enfants.
q Les conséquences psychologiques. Les violences sexuelles ont des répercussions psychologiques pour les membres de la famille ainsi que pour les amis qui ont été témoins de l’agression sans avoir eu la possibilité de réagir ou d’intervenir. Ceci est particulièrement vrai pour l’homme qui n’a pu protéger sa partenaire, ses enfants, ses frères et sœurs ou ses parents. La peur intense, l’impuissance ou l’horreur qu’il a pu ressentir peut être à l’origine d’un syndrome psychotraumatique. Si l’homme n’était pas présent au moment de l’agression, il peut en concevoir une forte culpabilité.
Si le viol vise à humilier les femmes ennemies, il lance également un message à l’intention des hommes à savoir qu’ils sont incapables d’assurer leur rôle de protecteurs. Le viol des femmes est donc également un moyen de blesser les hommes dans leur masculinité.
q Les conséquences sociales. L’homme peut souffrir par ricochet des conséquences sociales d’une violence sexuelle subie par une tierce personne. Par exemple :
ð Dans de nombreuses sociétés, le viol est assimilé à un adultère. Dès lors, sous le poids de la pression sociale ou morale, l’homme peut se sentir forcé de répudier son épouse agressée ou de la chasser du foyer. La pression est d’autant plus forte si la femme est enceinte à la suite de l’agression.
ð La famille, déshonorée par le viol d’un de ses membres, subit l’opprobre de sa communauté. Dans certaines cultures, cette stigmatisation et ce rejet social peuvent être à ce point douloureux pour un père qu’il peut être amené à rejeter sa fille.
Les déterminants de la violence sexuelle
La virilité
La virilité se décline selon trois axes :
q Selon l’axe biologique, elle désigne les caractéristiques physiques de l’homme (sexe, musculature, pilosité, etc.).
q Selon l’axe sexuel, elle renvoie au comportement sexuel (puissance, comportement sexuel dominant : actif et « pénétrant » dans les rapports vaginaux et anaux, passif dans la fellation et la masturbation) et à la capacité de procréer.
q Selon l’axe psychosocial, elle définit les capacités physiques, les aptitudes psychiques et les valeurs morales culturellement attribuées aux hommes. Dans la plupart des sociétés, la virilité est associée à la force physique, à la puissance, au courage, à la résistance mentale, au sens de l’honneur, à la capacité à se battre, à la domination des plus faibles, etc.
Dans de nombreuses sociétés, l’identité masculine est fortement liée à l’expression de la virilité.
La loi du plus fort
Par « loi du plus fort », j’entends l’usage abusif d’une position dominante par une personne ou un groupe de personnes dans le but de parvenir à ses fins (imposer ses normes, ses désirs, sa volonté, tirer un profit ou un bénéfice quelconque, humilier, etc.).
La « loi du plus fort » peut impliquer le recours à la violence, à la coercition, à l’intimidation, à la menace, à la manipulation, à la duperie, à l’abus du lien affectif[8], au chantage ou à tout autre moyen conférant un avantage à une personne ou à un groupe de personnes dans une relation donnée.
Le virilisme
On entend par « virilisme »[9], l’exacerbation d’attitudes et de comportements virils adoptés par les hommes[10] dans leurs rapports au monde, aux femmes et à leurs semblables. Ce paroxysme de virilité se manifeste principalement dans les conflits armés et dans les communautés régies par la loi du plus fort telles que les institutions pénitentiaires, l’armée et le monde de la rue (gangs, bandes). L’usage abusif d’une position dominante signe le plus souvent une situation d’insécurité ou de malaise social caractérisée par la lutte ou la compétition pour un territoire. Le danger semble favoriser le repli et le renforcement des représentations traditionnelles sur des valeurs comprenant la domination masculine.
Ce territoire peut être :
ð géographique : affrontements entre gangs rivaux pour la suprématie d’un quartier urbain, guerre de conquête et de colonisation, etc.
ð social : lutte menée par les détenus pour acquérir, conforter ou accroître leurs privilèges et leur pouvoir au sein de la société carcérale.
ð politique : guerres civiles et actes terroristes visant à contester ou à imposer un modèle politique ou la souveraineté d’un territoire, etc.
ð économique : guerres engagées pour l’hégémonie et le contrôle des richesse ou des matières premières (pétrole, métal, diamant, drogue, etc.)
ð culturel ou idéologique : guerres de religion, actions de l’opposition au pouvoir en place, etc.
ð symbolique : génocide perpétré au nom de la « pureté » ou de la supériorité d’une « race ».
ð Etc.
Le virilisme se manifeste principalement par l’agressivité (pouvant aller de l’agression verbale au meurtre), par la volonté de dominer et de conquérir (y compris sexuellement), par le rejet d’attitudes et de comportements considérés comme des signes de faiblesse (pitié, compassion, indulgence, sentiments amoureux, etc.) ainsi que par le culte des caractéristiques extérieures de masculinité (selon les cultures, musculation du corps, notamment grâce au sport, cheveux courts ou rasés, port de la barbe ou de la moustache, tatouages, tenue vestimentaire, etc.).
Dans le cadre de la loi du plus fort, les violences verbales, physiques et sexuelles infligées à autrui servent à structurer les relations entre les hommes et les femmes ainsi qu’à définir la répartition du pouvoir entre les hommes.
Les violences sexospécifiques et sexuelles dans les contextes de conflits armés
1. Les violences sexospécifiques
Les violences sexospécifiques dans les conflits armés revêtent les formes suivantes :
q Le recrutement dans les forces combattantes et l’enrôlement forcé. Le personnel combattant des forces militaires nationales, des milices populaires, des forces policières politiques et des groupes armés des seigneurs de la guerre est en grande majorité constitué d’hommes[11]. Ce phénomène tient principalement à la croyance ancestrale que les hommes sont taillés pour faire la guerre.
q Les exécutions sommaires lors des conflits armés. Les hommes sont plus systématiquement tués que les femmes parce qu’ils sont susceptibles de prendre les armes.
q Les arrestations, les détentions arbitraires (sans inculpation ni jugement) et les procès inéquitables.
q Les disparitions forcées. On entend par « disparitions forcées » le fait que « des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées contre leur volonté ou privées de leur liberté d’une autre manière par des agents de différents secteurs ou niveaux d’un gouvernement ou par des groupes organisés ou par des individus agissant pour le compte de ou avec le soutien, direct ou indirect, le consentement ou l’assentiment du gouvernement, situation suivie par un refus de révéler le sort et le lieu où se trouvent les personnes concernées ou un refus de reconnaître la privation de leur liberté, plaçant ainsi de telles personnes en dehors de la protection de la loi » [12] De nombreux hommes sont ainsi enlevés par des agents de l’Etat ou par des personnes agissant avec son consentement sans que leurs proches ne soient informés de leur sort.
q La torture et les mauvais traitements. Les hommes font plus fréquemment l’objet de tortures que les femmes (sauf en ce qui concerne le viol).
Si les hommes sont plus souvent détenus et plus systématiquement tués que les femmes, c’est en raison du rôle de combattant que leur attribuent toutes les sociétés du fait de leur genre.
2. Les violences sexuelles
La sexualité cristallise de nombreuses valeurs et de multiples tabous, tant personnels que sociaux. En effet, la majorité des hommes répugnent à envisager une sexualité contraire à leur orientation sexuelle (à savoir, une relation homosexuelle pour un hétérosexuel et inversement) et imposée sous la contrainte. Par ailleurs, toutes les sociétés régulent, codifient, fixent, voire légifèrent, l’accès à la sexualité. Ainsi, dans certaines cultures et religions, les relations homosexuelles sont inconcevables et condamnent les contrevenants autant à la justice des hommes qu’à celle de Dieu. Pour toutes les communautés, l’inceste est strictement interdit. Toute contrainte sexuelle et toute violation aux règles sociales provoquent détresse et humiliation et expose les contrevenants à l’opprobre, voire au rejet social.
Au vu de l’importance que revêt la sexualité pour les hommes et pour les communautés, il n’est pas étonnant que certaines situations les exposent particulièrement aux brutalités d’ordre sexuel[13]. Ainsi, dans le contexte des conflits armés, l’agression sexuelle est un moyen parmi d’autres utilisé par les belligérants pour affirmer leur force et marquer leur dominance
Les formes de violences sexuelles à l’égard des hommes perpétrées durant les conflits armés sont les viols, les attouchements, la contrainte à avoir des relations sexuelles avec un de ses proches (mère, enfant, sœur, etc.) ou avec un autre homme (détenu, militaire, garde, etc.) ainsi que le fait d’être contraint à assister au viol des membres de sa famille (épouse, enfants, mère, soeur) ou de sa communauté.
Voici les violences sexuelles les plus fréquemment pratiquées :
q Les dévalorisations et humiliations multiples par rapport aux organes sexuels et à la masculinité : railleries, moqueries, insultes, féminisation du prénom, contrainte à porter des sous-vêtements féminins, etc., notamment lorsque les hommes sont retenus prisonniers.
q Les brutalités exercées sur les zones génitales. Les organes sexuels des hommes sont fréquemment le siège des tortures qui leurs sont infligées : décharges électriques, coups, torsions, etc.
q L’introduction d’objets dans l’anus (bouteille, matraque, bâton, etc.).
q Les mutilations et l’amputation des organes génitaux : humiliation (masculinité bafouée) et atteinte des capacités de reproduction.
q Le spectacle du viol des membres de sa famille perpétrés par les belligérants, par des membres de la communauté forcés ou par des co-détenus contraints.
q L’inceste et le viol forcé. Les victimes sont contraintes de se livrer à des relations sexuelles avec un de leurs proches (parent, enfant, fratrie) ou avec un membre de leur communauté.
q Le viol (parfois viols multiples[14], collectifs[15]), les relations sexuelles et les actes sexuels forcés (fellations et masturbations prodiguées) avec un militaire ou un garde, accompagnés le plus souvent de brutalités et de coups. Ces agents peuvent faire subir des agressions sexuelles aux détenus pour assouvir leurs propres pulsions sexuelles. Néanmoins, le plus souvent, ces actes visent à humilier les victimes. Par exemple, dans la culture musulmane, la sodomie est considérée comme impie et constitue donc un outrage aux valeurs religieuses. Le viol se révèle une arme de guerre efficace pour ruiner le sentiment de valeur personnelle des ennemis masculins et un moyen redoutable pour briser les liens qui les rattachent à leur groupe d’appartenance (familial, communautaire, social, politique, religieux, ethnique, etc.)[16].
q Les actes sexuels forcés et les relations sexuelles forcées avec un co-détenu ou un homme de sa communauté. Des soldats, des gardiens de prison ou des policiers forcent les hommes à avoir des rapports sexuels entre eux comme forme de « divertissement ».
q Les rapports sexuels contre-nature. Les hommes sont parfois contraints par leurs bourreaux à se livrer à des relations sexuelles avec un animal
Les violences sexospécifiques et sexuelles en temps de paix
1. Les violences sexospécifiques
Les principales agressions sexospécifiques dont sont victimes les hommes en temps de paix sont les violences politiques et les mesures répressives à l’égard des homosexuels.
q Les violences politiques. Nous l’avons dit, le fait que les hommes sont plus souvent la cible de la violence politique est lié principalement à leur surreprésentation dans la vie publique. Nous avons cependant décidé d’assimiler les violations des Droits de l’Homme aux violences sexospécifiques car elles sont une conséquence directe de la position privilégiée que confère le genre masculin dans toutes les sociétés. Ce type de violence se produit généralement dans les pays où il existe de nombreuses tensions sociales et politiques.
Les violences politiques les plus fréquentes sont les disparitions forcées, les assassinats politiques, les exécutions extrajudiciaires et les détentions d’opposants politiques, de militants des Droits de l’Homme, de syndicalistes, de personnes appartenant à des minorités ethniques ou religieuses, etc.
q La détention, les sévices corporels, la déportation, la condamnation aux travaux forcés et la peine de mort des homosexuels. Dans le présent article, nous avons choisi d’inclure les agressions homophobes dans les violences basées sur le genre car nous considérons l’homophobie comme une violence sexospécifique « en creux ». En effet, les homosexuels sont la cible de violences diverses, individuelles et institutionnalisées, non parce qu’ils sont des hommes mais au contraire parce qu’ils ne répondent pas aux critère du genre masculin tel qu’attendu dans la société. L’homophobie défend une conception sexiste de la société humaine selon laquelle le sexe biologique détermine impérativement l’orientation sexuelle vers les individus du sexe opposé ainsi qu’un comportement social spécifiquement masculin ou féminin. Les hommes qui trahissent le caractère supposé « masculin » (les homosexuels mais aussi les bisexuels, les travestis et les transsexuels) sont considérés comme des transgresseurs et punis en conséquence.
L’homosexualité est interdite et sévèrement punie par de nombreux Etats. Elle est passible d’incarcération (de quelques mois à la perpétuité), de sévices corporels, de déportation ou des travaux forcés dans une soixantaine de pays. A titre d’exemple, parmi les pays les plus répressifs, citons l’Ouganda (prison à vie), le Kenya et la Tanzanie (14 ans de réclusion), le Cameroun, la Libye et le Sénégal (5 ans), le Togo, la Guinée et le Maroc (3 ans). La punition peut aller jusqu’à la condamnation à mort, en vertu de la charia[17], au nord du Nigeria, en Iran, au Soudan, au Yémen, en Mauritanie, dans les Émirats Arabes Unis, en Arabie Saoudite, en Afghanistan et au Pakistan[18].
Par ailleurs, partout dans le monde, les homosexuels risquent d’être agressés par des individus ou des groupes d’individus homophobes agissant à titre individuel.
2. Les violences sexuelles
2.1. Les violences sexuelles dans les institutions pénitentiaires
Les violences sexuelles subies par les détenus soulèvent peu d’intérêt dans la population générale. Ils ne bénéficient pas de la compassion accordées aux « victimes innocentes »[19], celles dont la responsabilité dans le processus de victimisation n’est pas mise en cause. Implicitement, on leur attribue un rôle actif dans la genèse des agressions dont ils sont l’objet dans la mesure où ils ont provoqué les conditions de leur avènement (« Vous vous êtes livrés à des pratiques déviantes et condamnables, vous vous êtes mis dans cette situation, assumez-en les conséquences »). Le détenu victime est considéré comme aussi coupable que son agresseur (par exemple, lorsqu’un détenu est agressé par un de ses pairs), voire davantage (par exemple, lorsqu’il est condamné pour pédophile ou lorsque l’agresseur est un gardien).
Rappelons néanmoins qu’ignorer ces agressions et leurs conséquences risque de favoriser la violence des victimes, notamment à l’égard des femmes.
2.1.1. Les violences sexospécifiques et sexuelles entre détenus
Selon diverses études, un détenu Américain sur cinq serait soumis par ses pairs à diverses pressions pour se livrer à des actes sexuels et un sur dix serait victime de viol[20]. 25% des prisonniers Australiens âgés de 18 à 25 ans déclarent avoir été agressés sexuellement[21].
Les relations sexuelles contraintes entre détenus ne peuvent être uniquement attribuées aux frustrations sexuelles. En effet, nul besoin de forcer ou d’agresser autrui pour satisfaire ses pulsions sexuelles. La majorité des prisonniers se contente d’ailleurs de la masturbation, du recours à la pornographie, d’échanges homosexuels consentis et d’ébauches de relations sexuelles dans les parloirs. De plus, le fait que les agressions soient perpétrées par des hétérosexuels qui à priori n’éprouvent pas de désirs pour leurs pairs masculins conduit à chercher d’autres explications.
2.1.1.1. Le rôle de la sexualité
q Le sexe comme pouvoir. Le véritable enjeu de l’agression sexuelle semble porter sur l’exercice du pouvoir dans un univers coercitif. Comme toutes les autres formes de violence et de criminalité perpétrées en prison (racket, agression physique, etc.), elle sert à prouver la puissance, la domination et la masculinité de l’agresseur.
L’administration pénitentiaire exerce un contrôle jusque dans les plus petits détails de la vie quotidienne (horaires des repas, du lever et du coucher, composition des menus, programme et type d’activité, etc.). L’incarcération a ainsi pour conséquence de déposséder les individus de leurs identités personnelles et sociales et d’invalider les compétences et les expériences dont ils pouvaient se prévaloir dans la société. Au sein de l’institution pénitentiaire, la virilité tient lieu d’identité au détriment de toute autre spécificité et la violence devient le moyen d’exercer un pouvoir dans une situation où les individus en sont presque totalement privés. Ainsi, les relations que tissent entre eux les prisonniers sont le plus souvent dominées par des rapports de force et d’autorité virile basés sur la soumission et l’humiliation. Chacun gagne sa place dans la hiérarchie carcérale en se mesurant aux autres. Face à la provocation ou à l’intimidation d’un co-détenu, il est impossible de fuir. Il n’existe dès lors que deux options : « Fuck or fight »[22] (« baiser ou combattre »). S’il refuse de se soumettre, l’individu n’a qu’une issue : faire ses preuves, se battre pour son honneur, prouver qu’il est un homme digne de ce nom. Dans le système masculin unisexué de la prison, l’agression constitue donc un instrument de hiérarchisation. En effet, elle produit des masculinités inégales et départage les « vrais » hommes des autres. Un homme violé ou sexuellement contraint prouve sa dévirilisation, voire sa féminisation, aux yeux de ses pairs et souvent aux siens propres. Pour le reste de sa réclusion, il est marqué du sceau de l’infamie et susceptible de subir de nouvelles violences.
q Le sexe comme punition. Les « pointeurs », écroués pour avoir abusé ou violenté une personne vulnérable (un enfant, une personne âgée, un handicapé, une femme) ainsi que les « balances » ayant collaboré avec les autorités pénitentiaires font l’objet de persécutions méprisantes de la part de leurs co-détenus. Le viol apparaît alors comme une punition à la mesure de l’abjection qu’inspirent leurs actes.
q Le sexe comme revanche. Le viol peut être un moyen de régler un conflit personnel ou politique entre prisonniers (conflits personnels, gangs rivaux, racisme, revanche des prisonniers Noirs américains sur les détenus caucasiens considérés comme les représentants de l’oppresseur blanc, etc.).
q Le sexe comme mode de payement. Les services sexuels peuvent constituer un moyen d’effacer une dette contractée à l’égard d’un co-détenu.
q Le sexe de survie. Des prisonniers consentent à rendre des services sexuels à un co-détenu en échange d’une « protection » contre d’autres agresseurs potentiels. On ne peut parler d’un véritable consentement, celui-ci étant fortement influencé par le besoin de se protéger et de survivre.
2.1.1.2. Les moyens du pouvoir
Voici les différents moyens utilisés par les prisonniers pour en contraindre d’autres à se livrer à des relations sexuelles :
q La violence. Les détenus peuvent recourir à la force surtout si la victime potentielle oppose de la résistance.
q La menace explicite de violence, la menace implicite et l’intimidation. Le recours à la violence n’est généralement pas nécessaire, la menace du recours à la force physique suffisant le plus souvent.
q Le harcèlement. La victime désignée est fréquemment la cible de harcèlement allant des commentaires sexuels à l’agression en passant par les menaces.
q La coercition. Les détenus sont parfois victimes d’un plan concerté entre prisonniers complices. Quelques compères menacent la future victime tandis qu’un autre s’érige en protecteur. Se créé ainsi une relation de dépendance entre bienfaiteur et obligé au terme de laquelle le premier exige du second des gratifications sexuelles. Dans d’autres cas, s’installe une servitude de dette. Un prisonnier prête à la victime désignée les sommes nécessaires à l’achat de produits de première nécessité, de cigarettes, de drogue, etc. Lorsque le débiteur est suffisamment endetté, le créancier exige de lui des faveurs sexuelles contre effacement d’une partie de la dette.
2.1.1.3. Les formes de violences sexuelles
Voici les violences sexuelles les plus fréquemment pratiquées entre détenus :
q Les dévalorisations et humiliations multiples par rapport aux organes sexuels et à la masculinité d’un pair : railleries, moqueries, insultes, féminisation du prénom de la victime, etc.
q Les viols (généralement multiples[23], fréquemment collectifs[24]), les actes sexuels forcés et les relations sexuelles forcées par un co-détenu
q L’esclavage sexuel. La victime devient la « propriété » de son premier agresseur. Dans certains cas, elle se voit contrainte de servir les exigences sexuelles de tout un gang. Dans d’autres cas, le détenu est « loué » ou « vendu » par son « propriétaire » à un autre prisonnier.
q La prostitution. Des détenus se prostituent en prison pour pouvoir se procurer des produits de première nécessité ou de la drogue.
q L’utilisation domestique avilissante. Certains détenus sont contraints par d’autres à effectuer les diverses tâches ménagères (vaisselle, lessive, entretien de la cellule et nettoyage des toilettes).
2.1.2. Les violences sexospécifiques et sexuelles exercées par le personnel carcéral
Les violences sexuelles commises par des surveillants sont exceptionnellement relatées et ce partout dans le monde.
Parmi les violences directes les plus fréquemment perpétrées par le personnel pénitentiaire, citons :
q Les actes sexuels forcés, le viol et les relations sexuelles forcées avec un détenu, parfois accompagnés de brutalités et de coups. Le but de ces agents est généralement d’humilier leur victime et non d’assouvir leurs propres pulsions sexuelles.
q Les dévalorisations et humiliations multiples relatives aux organes sexuels et à la masculinité des prisonniers : railleries, moqueries, insultes, féminisation du prénom, etc.
Le plus souvent, les violences exercées par les gardiens et l’administration pénitentiaire sont indirectes. Mentionnons :
q Les menaces de situations à risque. Les surveillants utilisent la peur de l’agression sexuelle pour contrôler les meneurs potentiels et les fortes têtes. Ainsi, ils peuvent menacer un détenu de le placer dans une situation à haut risque d’agression sexuelle par exemple, dévoiler son orientation sexuelle s’il est homosexuel, l’encelluler avec des caïds, l’enfermer dans les douches avec des meneurs réputés violents, révéler son motif d’écrou lorsqu’il s’agit d’un « pointeur », etc.
q La promotion des agressions entre détenus. Les surveillants peuvent déclencher les situations à risque citées ci-dessus, le mobile le plus fréquent étant de réduire le pouvoir d’un leader ou de punir un prisonnier indiscipliné.
q L’inaction devant les agressions entre détenus. La forme de violence la plus fréquemment commise par les gardiens consiste à ignorer délibérément les agressions entre détenus et à ne pas agir pour les faire cesser.
2.2. Les minorités sexuelles
2.2.1. L’orientation sexuelle et les dysphories de genre[25]
Les homosexuels[26], les bisexuels[27], les transsexuels[28] et les travestis[29] sont particulièrement vulnérables au préjudice sexuel car leur comportement est perçu comme transgressant les normes sociales et les codes moraux. Dans certaines sociétés, ils sont punis par leurs concitoyens en étant violés.
De plus, certains d’entre eux, bannis de leur famille ou de leur communauté, se trouvent contraints de se prostituer pour subvenir à leurs besoins. Par exemple, pour les transsexuels, le commerce du sexe est souvent l’unique option qui s’offre à eux. En effet, l’accès à l’emploi relève de la gageure tant que leur sexe « administratif » n’est pas en accord avec leur apparence physique[30]. Ils gagent alors la rue, monde dangereux par excellence, où ils sont pris pour cible parce qu’ils ne sont pas, là non plus, socialement « acceptables ».
L’emploi systématique du genre d’origine plutôt que du genre d’élection pour désigner une personne transsexuelle peut être assimilé aux violences sexospécifiques. L’interlocuteur affirme ainsi que dans son chef la personne reste à jamais prisonnière de son genre de naissance.
2.2.2. Les couples homosexuels
On ignore l’ampleur que revêt la violence dans les relations intimes entre hommes. Toutefois, elle semble aussi fréquente que celle qui existe dans les relations entre hétérosexuels[31]. Selon certains chercheurs, le problème concerne au moins un couple homosexuel sur cinq[32].
Voici les différentes formes de violence sexuelle exercées entre partenaires homosexuels.
q Le viol.
q Les rapports sexuels contraints (y compris l’exigence de rapports sexuels à la demande)
q Les rapports sexuels contraints avec un tiers (en présence ou non du partenaire)
q Le refus de la sexualité sans risque. Un homme peut refuser de pratiquer une sexualité sans risque et exposer son partenaire aux maladies sexuellement transmissibles.
q Les moqueries concernant la performance sexuelle du partenaire, son apparence physique, son style vestimentaire, etc.
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[1] OMS, 2002, « La violence sexuelle » in « Rapport mondial sur la violence et la santé », whqlibdoc.who.int/publications/2002/9242545619_chap6_fre.pdf
[2] En prison, un homme sexuellement contraint acquiert la réputation d’être homosexuel (qu’il se définisse ou non comme tel) ou est considéré comme une femme. Par exemple, dans les prisons de l’ancien régime soviétique, au bas de la pyramide carcérale se trouvent les « petukhi », (littéralement les « coqs »), les « pédales » (en argot). Dans les prisons américaines, on les appelle notamment « queen » ou « sissy ».
[3] Les « petukhi » sont aussi appelés les « intouchables (« neprikasaemye ») ou les « rabaissés » (« opouchtchenye »).
[4] Dans la plupart des pays du monde, lorsqu’un prisonnier porte plainte pour agression sexuelle contre un de ses co-détenus, les mesures prises pour sa sécurité ne sont pas immédiates.
[5] On y loge les individus jugés dangereux mais également, dans certains pays, les prisonniers susceptibles d’être agressés par leurs pairs.
[6] Une nouvelle loi votée le 20 juillet 2006 élargit la notion de viol.
[7] Dans certains pays, le kit PEP (Post-Exposure Prohylaxis, chimioprophylaxie pour le HIV composé d’anti-rétroviraux) est disponible.
[8] Pour plus de détails, voir article du même auteur « Les violences sexospécifiques à l’égard des enfants », http://www.resilience.netfirms.com
[9] Terme du à Daniel Welzer-Lang.
[10] Et parfois également par les femmes. Il suffit pour s’en convaincre de penser à l’hyper virilité développée par les femmes soldats américaines. On se rappellera des photos prises dans la prison d’Abu Ghraib montrant des soldates soumettant et humiliant des détenus irakiens.
[11] Si les femmes prennent rarement une part active aux combats, notons néanmoins qu’elles jouent un rôle non négligeable en encourageant et en exhortant les belligérants.
[12] « Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées » adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/133 du 18 décembre 1992, http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(Symbol)/A.RES.47.133.Fr?OpenDocument
[13] D’autres articles du même auteur abordent en détail les violences sexuelles et la torture. Voir le site http://www.resilience.netfirms.com
[14] Une victime est agressée à plusieurs reprises.
[15] La victime est agressée par plusieurs assaillants.
[16] Comme on peut le constater dans la guerre qui a sévit à l’Est du Congo.
[17] Loi musulmane.
[18] Pour justifier les exécutions publiques, les hommes sont souvent accusés d’enlèvement et de viol sur des jeunes gens (mineurs).
[19] Voir la classification des victimes en 5 catégories de Benjamin Mendelshohn en fonction de leur degré de culpabilité : la victime totalement innocente, la victime moins coupable que le criminel, la victime aussi coupable que le criminel, la victime plus coupable que le criminel, la victime totalement coupable, http://fdeg.univ-pau.fr/fichiers_upload/documents_td/td_517_doc_153.doc
[20] Human Right Watch, http://www.hrw.org/reports/2001/prison/report.html et Struckman-Johnson C., Struckman-Johnson D., http://www.spr.org/pdf/struckman.pdf
[21] « L’atlas de la Sexualité dans le monde » cité par Massardier, http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/conf&rm/conf/confvictime/prvictimes.html)
[22] Paraphrase due à Gordon James Knowles du célèbre « Flight or fight » (« fuir ou combattre ») de Walter Cannon, http://www.spr.org/pdf/knowles2.pdf.
[23] Une victime est agressée à plusieurs reprises.
[24] La victime est agressée par plusieurs assaillants.
[25] Les dysphories de genre ou « désordres de l’identité de genre » (en anglais « gender identity disorder » ou « GID ») comprennent le travestisme (ou travestissement), le transsexualisme (ou transsexualité) et le transgendérisme (regroupant les individus se situant entre travestisme et transsexualisme).
[26] L’homosexualité désigne l’attirance sexuelle et/ou sentimentale pour des individus du même sexe.
[27] La bisexualité désigne l’attirance sexuelle et/ou sentimentale pour des personnes des deux sexes (simultanément ou alternativement).
[28] Une personne transsexuelle a la conviction de posséder une identité de genre radicalement opposée à son sexe anatomique.
[29] Le travestisme est le fait de se vêtir avec des vêtements du genre opposé, indépendamment de l’identité et de l’orientation sexuelle. Il n’implique pas nécessairement la volonté de changer de sexe.
[30] Le changement de prénom est possible dans certains pays après l’opération de transformation anatomique mais la procédure est toujours longue.
[32] Kirkland K. (2004), http://www.phac-aspc.gc.ca/ncfv-cnivf/violencefamiliale/pdfs/2004HommeGai_f.pdf