La psychanalyse vue à la manière d’un entomologiste

• L’humaniste hollandais Desiderius Erasmus Roterodamus (1466-1536) affirmait «On ne naît pas homme, on le devient». Sans doute mais le chemin pris pour le devenir est loin d’être indifférent.

    Appréciation de la psychanalyse à partir de la seule observation des faits

Je vais essayer ci-après de porter un regard phénoménologiquement neutre, observateur seulement des faits, sur ce qu’on appelle la psychanalyse, son exercice, ses effets, en me démarquant de tout a priori métapsychologique. Il ne s’agit pas de dénier un exercice qui pour beaucoup de gens a été profitable, moi y compris après 7 années de cure devenues didactiques par la magie de la conversion à la profession.

Abordons en premier lieu la question de la scientificité à partir d’une observation de la psychanalyse :

On ne peut se déprendre des faits. Or qu’est le fait psychanalytique tel qu’il est observable de l’extérieur par quelqu’un qui ne part pas de la vulgate freudienne ? Laissons donc de côté le soubassement théorique dont elle se nourrit pour lui appliquer les règles scientifiques inhérentes à l’analyse d’un phénomène.

Bien sûr sa mise en œuvre reste dépendante de chaque pratiquant et même de chacun de ses exercices, considérant les protagonistes et leurs humeurs. Restons-en cependant d’abord à ce qui est convenu et nous verrons bien plus tard ses dérives ; dérives qui alimentent hélas, bien des prises en charge analytiques.

Je dis souvent, après plus de trente années passées au contact de psychanalystes de diverses obédiences, que je n’ai jamais vu plus ignorant des choses de la psychiatrie et de la psychologie qu’un psychanalyste, quand je dis ça, je veux dire que même si le praticien est lui-même psychiatre ou psychologue, il agit et parle en tous points comme si ces connaissances n’existaient plus. Je dirai même paraphrasant Freud dans l’homme aux loups qu’il n’en veut rien savoir en termes de refoulement. C’est comme si ça n’existait pas. Cette phrase m’avait été à peu près tenue en ces termes par un collègue auquel naïvement je faisais dès les débuts de ma découverte de l’EMDR, l’exposé d’un traitement spectaculairement réussi. « Pour moi, ça n’existe pas. On n’en parle pas. J’ai choisi mon camp il y a bien longtemps déjà …».

Revenons aux faits : Dans la pratique donc le psychanalyste est un homme, une femme, qui reçoit un autre être humain, qui généralement après avoir échangé un rapide bonjour, bien dressé, va très vite de lui-même s’allonger sur un divan derrière lequel prestement s’installe l’analyste et en principe, celui en tout cas qu’on lui a donné comme règle fondamentale, se met à parler et à dire ce qui occupe son esprit, durant un temps minuté.

Entendant ce récit, par la suite le dit psychanalyste, s’il est encore en formation, va rendre compte de cette cure à un psychanalyste plus ancien qui le contrôle ; le dit contrôle pouvant être individuel ou collectif. Cet exercice va durer plus ou moins longtemps, parfois plusieurs années. Qu’il soit en formation ou pas, si le sujet lui semble intéressant, s’il veut apporter sa « pierre » à l’édifice, prouver une existence soumise au dogme commun ou plus prosaïquement si c’est son tour de parler dans le groupe auquel il se rattache, il va exposer le cas, en l’articulant bien entendu à partir de la doxa analytique. C’est-à-dire qu’il va prendre pour base un contenu théorique freudien, kleinien, lacanien, etc. appris selon son école et qu’il va montrer comment, selon son point de vue, le cas qu’il présente correspond aux canons de la discipline. Il peut aussi faire une simple analyse de textes et les articuler entre eux pour prouver combien il les a bien intégrés. C’est ce que j’appelle des « resucées », bien qu’en cela il n’y ait pas beaucoup de différence avec ce qui se passe dans d’autres disciplines.

Faisons maintenant une analyse critique des faits. Commençons par l’acte vu du côté du praticien.

Le psychanalyste homme ou femme, se rattache à une école et va donc « écouter » son patient d’une certaine manière, grâce à une grille de lecture, faisant office de prêt-à-penser. Ceci n’est pas le propre du psychanalyste, mais de tout soignant, en raison de sa formation et des limites inhérentes à celle-ci. De fait, son « écoute », puisqu’en psychanalyse c’est le principal outil, est donc toujours d’emblée orientée. Il faut toutefois reconnaître que dans la matérialité des faits, cela se complique encore. Le psychanalyste est un être humain assis derrière un autre être humain qui parle, mais tous ne parlent pas ou alors articulent des ritournelles, certains restent en effet silencieux ou pleurent à chaudes larmes.

Ce sont deux humains soumis aux limites de l’humain ; deux pauvres humains dont l’un est supposé savoir ce que l’autre ignore. Les limites sont aussi corporelles qu’intellectuelles, c’est-à-dire que très rapidement, surtout quand il a plusieurs années de pratique derrière soi, le psychanalyste décroche et n’écoute réellement que de temps en temps. Le reste du temps il est ailleurs. Il pense à des choses matérielles qu’il doit accomplir, il rêve, il regarde l’heure et mesure le temps qui reste de la séance, il pense aux courses que sa femme lui a éventuellement demandées de faire en quittant son cabinet, à des factures qu’il faut régler, etc. Parfois aussi il s’endort et il est rare qu’il rêve à ce moment là être en séance. C’est ce que j’appelle « l’attention ronflante ». Comme le patient dort aussi parfois, voilà de confortables siestes rémunérées faites en commun. Pourtant on soutient généralement que dans un pareil cas on se trouve devant la manifestation la plus importante qui soit de communication d’inconscient à inconscient. Ce qu’il y a de « confortable » avec l’humanité, c’est qu’elle peut tout justifier. C’est ce qu’on appelle la « dissonance cognitive ».

Soyons clair, il ne s’agit pas de caricaturer la psychanalyse comme l’activité commune de deux dormeurs ou de penser que tous les psychanalystes sont plus ennuyés qu’intéressés par le discours de leur patient. En effet, même si cela se produit, c’est loin d’être général, pour tous les analystes et en observant chacun d’eux, pour tous leurs patients. Ces derniers sont souvent vraiment passionnants et le suivi de leurs discours est généralement aisé durant le temps de parole qui leur est accordé… et aussi le moment de la journée où elle s’exprime (somnolence post prandiale oblige). D’autres clients, hélas pour le psychanalyste, sont profondément rasoirs, soit parce qu’ils se taisent – ce ne sont pourtant pas les pires -, qu’ils ne savent pas quoi dire, soit parce qu’ils ne rebondissent absolument pas aux rares interventions qu’en désespoir de cause le psychanalyste mal à l’aise finit par leur adresser, soit parce qu’ils sont constitutionnellement et irrémédiablement bradypsychiques. Ils pensent lentement, si lentement que tout être fonctionnant à peu près normalement baille et décroche invariablement.

Il est des cas aussi où le patient se manifeste généralement par des pleurs, ce qui attire au départ la compassion, puis l’inquiétude, voire l’énervement de l’analyste qui ne sait, quand ils ne s’arrêtent pas, quoi dire et encore moins faire, puisqu’on l’a mis en garde contre les « acting in » et les « acting out ». Le plus souvent, dans un pareil cas, il croise les doigts et attend que ça se passe. Sinon, il finit par se décider à le diriger vers un collègue psychiatre. Il en conclut selon les cas, qu’il a affaire à quelqu’un de trop déprimé, voire borderline au sens de J. Bergeret et inapte à l’exercice de la psychanalyse. Le patient bascule, quelquefois pour son bien, de la position allongée à une position de face à face, plus soutenante d’un côté, mais aussi narcissiquement blessante à l’idée qu’il n’a pas été capable de satisfaire aux exigences de la psychanalyse.

Généralement ce sont les psychanalystes les plus anciens, devenus avec le temps, comme Freud à la fin de sa vie, blasés quant aux résultats à espérer d’une cure, qui en séance décrochent le plus. Et on assiste à ce paradoxe qui veut que l’analyste le plus attentif soit le moins bien formé. Il faut dire aussi à sa décharge que le jeune praticien inexpérimenté conserve encore l’espoir d’être utile à son prochain, position qu’avec l’âge, la fréquentation des maîtres, les séminaires auxquels il va participer et bien sûr les lectures commentées d’analyse terminée et d’analyse interminable de Freud sans oublier la prise en compte de l’opinion de Lacan à ce sujet, il va bientôt dépasser. Ce sera alors pour se consacrer à l’analyse savante, mais au demeurant plus reposante, en des termes de plus en plus abscons pour faire profond, des textes fondateurs et des commentaires de commentaires ou à l’analyse de livres profanes, etc.

Venons-en maintenant à ce qu’on appelle le « contrôle » qui est la supervision de la pratique d’un jeune analyste par un analyste plus ancien, supposé être confirmé. Dans cet échange, le supervisé va parler du cas qu’il présente. S’il est honnête, ce qu’on peut supposer raisonnablement, il dira tout à l’exception de ce que son inconscient lui interdira de révéler, c’est-à-dire quelques interprétations de trop. Il se dit qu’il aurait mieux fait de se taire. Mais pourquoi a-t-il été si bavard ? (Une idéologie cachée veut que les meilleurs analystes soient les plus silencieux). Avec l’évolution des coutumes, notons toutefois une amélioration notable. Le rôle du contre-transfert est apparu comme important, et désormais contrairement à ce qui se passait il y a quelques dizaines d’années on peut confier ses ressentis. Ce n’était pas le cas auparavant.

Et dans cet énoncé j’omettrai de parler des analystes malentendants, voire pratiquement sourds (J’en ai connu un. D’ailleurs il s’en vantait. Pour comprendre il fallait qu’il voie les lèvres de son interlocuteur.), des lacaniens qui pratiquent des séances à durée variable (rarement de longue durée, surtout quand ils ont suffisamment de clients et qu’ils sont anciens dans le métier. L’un d’eux très connu et donc renommé, me confiait « Moi, au bout de 20 minutes au maximum, je supporte plus »). Je ne parlerai pas non plus de ceux qui lisent, écrivent, dorment dans le dos de leur patient, qui s’il s’en insurge, fait ainsi la preuve d’un évident transfert négatif à son endroit. Je ne rappellerai pas non plus, ceux qui se lèvent, sortent de la pièce en intimant l’ordre à leur patient de continuer à parler, ni des analystes qui se font payer les séances qu’ils ne pratiquent pas, notamment durant leurs vacances.

Je conclurai ce chapitre en notant que dans la phénoménologie de la formation du psychanalyste il n’y a rien de scientifique, rien qui satisfasse aux critères les plus élémentaires de ce qu’on définit comme tel.

Le contenu analytique s’appuie sur un point de vue établi par Freud à la fin du 19e siècle (après le 21 septembre 1897 pour être exact – la théorie du fantasme, puis celle des pulsions se substituant à celle du traumatisme appelé « séduction ») et au début du 20e, ainsi que sur des comptes-rendus, des reprises de ces travaux par des épigones plus ou moins talentueux, parmi lesquels on distinguera en France ceux remarquables de J. Lacan. On sait maintenant que les rapports de cas établis par Freud pour étayer ses hypothèses étaient de pures forgeries, des falsifications de la réalité clinique. Il est dans tous les cas difficile de soutenir la scientificité des fondements analytiques. Mais bien de l’eau a couru sous le pont des arts psychothérapeutiques depuis 1939.

L’acte d’écoute, même dans le meilleur des cas, n’en garantit pas une compréhension véritable qui se traduirait par une évolution observable. Son rapport à un « maître » n’obéit à aucune règle objective, mais reste du domaine de la pure subjectivité.

La crédibilité des travaux ne porte sur rien d’autre que la foi dans laquelle on les tient et n’engage que celle des auditeurs. Reconnaissons toutefois qu’ils sont généralement bien tournés, séduisants et font appel à des concepts aussi savants que confus, connus toutefois des seuls initiés, ce qui renforce un évident sentiment narcissique de communauté de puissance.

Venons-en maintenant à l’acte vu du côté de l’analysant :

Il a confiance en la psychanalyse parce qu’il en a beaucoup entendu parler et que censément elle est la seule à lui permettre de faire un travail en profondeur sur lui-même. Certes, il sait que ce sera coûteux, long et difficile, mais il veut bien tenter l’expérience. Là je parle d’un sujet normalement cultivé et élevé dans le mythe « Hors de l’analyse, point de salut » et « Un mieux-être ça se mérite et ça passe obligatoirement par la souffrance ». Dans la grande majorité des cas, les clients viennent envoyés par des médecins qui, eux, croient en ce mythe et qui ne savent pas comment soigner autrement des patients anxieux, dépressifs, en demande de soin, pour lesquels la réponse médicamenteuse semble inappropriée.

Le patient veut mieux se connaître ou bien est quelqu’un qui souffre et qui croit que le psychanalyste va l’aider à guérir. Ce qu’il ne sait pas, c’est que « guérir » est un mot proscrit en psychanalyse. Si au début Freud y avait cru, il avait dû rapidement se résoudre à en reconnaître la vanité. Finalement avec Lacan, on s’était contenté d’un « L’analyse guérit de surcroît » et même avec Freud et ses épigones on s’était fortement défié de ce concept dangereux, car il appelait à la preuve de sa véracité et obligeait à l’évaluation. De plus le symptôme avait la réputation de se déplacer, ce qui n’arrangeait pas des prétentions curatives.

On préférait même éviter parler de « guérir » comme on se garde bien de dire un gros mot quand on est bien élevé. Pire encore, il fallait se méfier quand une amélioration survenait sans qu’on y prenne garde et considérer qu’il ne pouvait s’agir que d’une « fuite dans la guérison ». En passant du concept de guérison à celui de prise en compte de l’inconscient, on s’évitait bien des désagréments même si c’était au prix d’une incontestable contorsion cognitive. Il va sans dire que peu, voire aucun, psychanalyste n’avouera jamais à un patient qu’il rencontre pour la première fois, ni même la seconde et encore moins après, ce changement pourtant capital d’orientation : une nécessité financière vitale allant ici dans le même sens que le culte d’une élémentaire discipline analytique.

Donc notre patient sera normalement allongé sur un divan à raison de plusieurs séances (au moins trois) par semaine et convié à dire tout ce qui lui vient à l’esprit. Cette procédure sera appliquée dans tous les cas, quels qu’il soient. C’est un peu comme si un médecin soignait de la même manière tous ses patients, qu’ils souffrissent de céphalées, de cors au pied, ou d’un ulcère d’estomac. Qu’importe le mal, le divan était la thériaque, la panacée absolue. Cette conception toutefois a évolué pour des raisons de clientèle d’abord : les patients sont devenus impatients de nos jours ; ils veulent ne plus souffrir et se tournent de plus en plus vers d’autres approches moins longues, plus efficaces en termes de résultats et surtout moins coûteuses. Et aussi parce qu’un nombre assez important de personnes allaient de plus en plus mal quand elles étaient allongées dans un contexte de privation sensorielle.

D’autres applications dites psychothérapeutiques d’inspiration psychanalytique ont alors vu le jour. Les patients étant alors reçus une seule fois par semaine et en face à face. Ce qui dans les années 60, 70 apparaissait comme une monstruosité n’entraînant que mépris de la part des psychanalystes titulaires engraissés par une clientèle pléthorique – on parlait alors du « plomb » de la psychothérapie par rapport à « l’or » analytique – est devenu parfaitement licite, respectable et méritant la noble reconnaissance d’acte ou de travail analytique.

Que se passe-t-il quand on doit parler à quelqu’un qu’on ne voit pas ? Certains qualifient l’idée d’allonger les patients sur un divan, de coup de génie de la part de Freud. Pourtant lui-même reconnaissait qu’il n’avait agi ainsi que parce qu’il ne pouvait supporter le regard de ses patients toute une journée. C’est sans doute commode pour l’analyste, mais est-ce vraiment un coup de génie ?

Quand on est allongé, en position de privation sensorielle, dans le meilleur des cas on parle pour dire ce qui ne va pas, pour satisfaire à la règle, pour meubler le silence, pour apporter soi-même une réponse à des questions auxquelles le psychanalyste ne répond pas et c’est ce dernier point qui à mon avis est le plus important. Il suppose que le psychanalyste sache la réponse à la question qu’il pose. C’est ce que Lacan, avec raison, a appelé le « sujet-supposé-savoir ». L’avantage de ne pas avoir le visage du thérapeute en face de soi en est-il vraiment un ?

Arrêtons-nous un instant sur le concept de sujet-supposé-savoir. On rappelle généralement, comme si elle allait de soi, une supposée filiation entre la psychanalyse et la maïeutique socratique, autrement dit la technique d’accouchement des esprits inventée par Socrate dont la mère, à ce que je sais, aurait été sage-femme. On peut se demander ce qui a pu déterminer Socrate à agir ainsi outre un supposé fait, transposé du physique au mental, de filiation ?

J’avance l’idée que c’est sans doute la croyance en la réminiscence. L’âme était éternelle et s’était non seulement imprégnée de connaissances au cours de vies antérieures, mais surtout avant même sa réincarnation quand elle était encore flottante dans l’univers. Avant même de s’incorporer à nouveau l’âme avait ainsi accès à toutes les connaissances, mais la naissance en avait effacé la mémoire. Dès lors, si on posait judicieusement des questions à un vivant, il trouverait de lui-même, en lui-même la réponse. Donc l’art de la maïeutique supposait un long et graduel questionnement posé par un maître qui lui savait la réponse à quelqu’un qui croyait l’ignorer, afin de la lui faire découvrir enfin par lui-même. On voit la technique (dont l’étymologie renvoie à l’art) mise en œuvre notamment dans le Ménon de Platon.

Est-ce à dire que les psychanalystes pratiquent le même art que Socrate ? Ce n’est pas ce qu’on observe, même si c’est ce qu’on prétend. On observe même le contraire, puisque si le patient croit que le psychanalyste sait la réponse aux questions qu’il se pose, celui-ci ne lui dit rien, contrairement à Socrate et le laisse patauger. Dans les faits le psychanalyste ne connait pas la réponse à la question, contrairement encore une fois à Socrate, qui lui la sait et veut la faire activement resurgir dans l’esprit de son interlocuteur.

On sait aussi par contre que le psychanalyste suppose lui que son patient sait et que ce savoir lui viendra quand il aura levé les refoulements qui l’accablent. Ce phénomène dit de prise de conscience peut être observé, même s’il ne cautionne pas nécessairement une théorie du refoulement. Est-ce à dire que les psychanalystes croient en l’existence de la réminiscence au sens grec ancien ? Rien n’est moins sûr. La théorie du refoulement, fut-il primaire et même originaire (le primaire ne suffisant plus), n’est pas celle de la réminiscence. Quoique … avec le transgénérationnel, l’hypothèse ne soit pas loin de s’en rapprocher.

J’en conclus qu’il est dans tous les cas abusif d’établir une filiation entre la maïeutique et la psychanalyse. Les deux procédés sont tout à fait distincts.

Revenons au patient pris pour objet d’étude. Je le présente comme quelqu’un qui a un accès facile à la parole et à la pensée. Il relate ses problèmes anciens et actuels. Il dit son quotidien. Il est en principe dans un état de privation sensorielle, c’est-à-dire qu’il n’est pas parasité par la vue du visage de son interlocuteur, par ses expressions. Je dis bien en principe, parce que dans la réalité, il entend des bruits en provenance du monde extérieur. Comme l’analyste est silencieux, s’ils proviennent malgré tout de sa direction, il aura tendance à les interpréter comme un signe venant de sa part. Ainsi si l’analyste, bouge, tousse, se gratte la gorge et on pourrait en dire long sur tous sortes de bruits sui generis, il se dira que ce ne s’est pas le fait du hasard et il s’interrogera à ce sujet.

Cette réaction classique, est à mon avis due à l’état de transe qui caractérise toute relation dès lors qu’elle n’est pas sensoriellement stimulée en permanence. Le moindre bruit résonne et celui qui l’entend raisonne aussi pour l’interpréter. Freud pensait remplacer l’hypnose par l’analyse. Il est vrai que le procédé diffère dans sa mise en œuvre, mais pas dans le fond ? Pour tout dire, je ne connais pas de traitement, ni même d’état si pleinement conscient que l’on puisse affirmer souverainement qu’il échappe totalement à la transe hypnotique.

De temps en temps donc, tout seul ou avec l’aide de l’analyste qui intervient (ça dépend) il prend conscience d’un fait qui lui avait échappé qui permet de reconsidérer ses propos, sa vie et il en ressort un bénéfice. C’est ce que d’autres (Carl Rogers mais il s’agit de face à face et principalement de communication non verbale) ont appelé le recadrage. J’y reviendrai pour l’analyser en termes psychoneurologiques.
Toutefois l’analyste, même s’il ne dit rien, peut sembler attentif et chaleureux, ce qui donne confiance en soi et permet d’affronter des moments difficiles avec plus d’assurance. Et puis on a le sentiment que l’on accomplit un devoir coûteux et pénible, mais nécessaire, par ailleurs socialement, donc narcissiquement valorisant. Ça aussi ça fait du bien.

Le lecteur remarquera que dans les exemples que j’avance là, il est question d’un soubassement affectif, donc relevant du cerveau limbique, et non pas de la seule verbalisation, même si on ne met en avant que la parole et des effets de langage, depuis la talking cure affirmée par la patiente de Freud. L’observation de l’importance de l’émotionnel remet en cause stricto sensu la théorie psychanalytique, même si Freud avait fort justement théorisé la différence existant entre représentant-affect et représentant-représentation.

Ce « bon » patient va donc au fil des séances et des années, reconsidérer sa vie et ses actes en remontant le temps au fil des associations, c’est-à-dire qu’il va « réfléchir ». Notre cerveau possède cette faculté importante de pouvoir rappeler un souvenir, une scène passée, d’en imaginer qui ne se sont pas produites et ne se produiront peut-être jamais, de fantasmer, bref, il a la possibilité de voir se projeter des ombres sur l’écran de la caverne et de faire des associations à ce sujet. C’est ce qu’on appelle communément la « réflexion ». Cette réflexion est un travail sur soi. Il l’effectue pratiquement tout seul puisque l’analyste garde généralement le silence. C’est important parce que les raisons qu’il se donne à lui-même, dans une position tierce valorisent son estime de lui-même. Une partie de lui-même se développe. Il acquiert ainsi une connaissance qu’il peut valoriser encore davantage par des lectures ou des échanges avec des tiers.

Pour Platon la connaissance s’acquiert par ce travail. Elle est le fruit d’un effort et de luttes. Cela ne me paraît pas toujours vrai. La connaissance peut venir d’elle-même quand l’esprit est prédisposé à la recevoir et ceci se produit quand peu de luttes internes justement sont en place pour en contrecarrer l’assimilation. Ceci rejoint d’ailleurs le sujet du recadrage, si on le conçoit comme une manière de relier sémantiquement ensemble (la bindung – le lien – est un concept freudien important qu’il faut nécessairement conserver) des contenus autrement disparates et à forte tonalité émotionnelle. Le recadrage est un fruit possible de la réflexion. C’est ce qu’on désigne généralement autrement par l’appellation de prise de conscience.

Alors l’analyse est utile, la psychanalyse peut aider ? Incontestablement la réponse est oui, mais dans certains cas. Le sujet se sent apprécié, compris, écouté, libre de s’exprimer. Il fait à sa guise des associations qui lui permettent de reconsidérer sa vie d’une manière moins passionnelle, etc. Mais alors où est le problème ? Le problème est que la réponse au pourquoi du parce que est sans fin et aussi dans le fait que toute contrariété – et elles sont nombreuses dans une vie – repose le problème in extenso : vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage… me direz-vous rappelant Boileau. Certes, mais il faut reconnaître que l’on reste indéfiniment dans un contexte judéo-chrétien de souffrance rédemptrice. Plus on souffre et plus on va profond. Le credo psychanalytique ne concerne pas la guérison, je l’ai dit. Il l’exclut même, tant il la juge suspecte.

L’analyse est donc sans fin. Bon, ce n’est pas grave dans le fond me direz-vous : cesser de penser ne peut qu’être pathologique. Et vous auriez raison si vous ne faisiez subrepticement l’amalgame entre l’activité de penser et de réfléchir et l’ascèse qui consiste à tout faire passer à la moulinette analytique et à chercher un sens profond à ce qui est commun. Bon, en soi ce ne serait pas mal non plus après tout, que de ne pas se contenter des évidences, sauf que l’obsession d’une réflexion à tout prix est engageant et oriente douloureusement la vie. Agir ainsi relève très souvent du tourment. De plus les problèmes pour lesquels on est allé consulter, comme des phobies, des accès dépressifs, des peurs incontrôlées, peuvent demeurer malgré des années d’analyse. Mais c’est vrai, on ne soigne pas le symptôme.

Un autre regard, systémicien cette fois, porté sur l’acte analytique me le fait personnellement remettre en question. C’est celui qui concerne la dissymétrie fondamentale qui organise le soin. On a vu que le patient venait avec une demande le plus souvent de guérison de ses maux et que ce n’était en aucun cas ce qu’on lui proposait. On voit maintenant qu’il est maintenu dans une position subalterne, allongée, soumise (celle étymologiquement du client, mot généralement évité en France par la profession), lui qui vient pour grandir, se verticaliser davantage. Il y a donc un paradoxe positionnel qui d’emblée est mis en place par rapport au but défini et qui est maintenu tout au long du traitement. Alors comment s’en sortir ? La seule solution et l’identification : devenir analyste soi-même. Cette voie est affirmée le 15 août 1988 comme la seule possible par Jacques Alain Miller dans une introduction écrite pour le « collège clinique de (psychanalyse) de Montpellier», qui va même jusqu’à l’assortir d’une menace pour ceux qui prétendraient se soustraire à cette obligation. Je cite « L’impératif formulé par Freud qu’un analyste soit analysé, a été non seulement confirmée par Lacan, mais radicalisée par la thèse selon laquelle une analyse n’a pas d’autre fin que la production d’un analyste. La transgression de cette éthique se paie cher – et à tous les coups, du côté de celui qui la commet ».

Que pensent les analystes du moteur principal de leur art ? Je dirai qu’à cette question ils répondront en parlant du transfert. Et ils n’auront pas tort, parce que tout est transfert, même si j’emploie le mot dans un sens plus large que celui que lui accordent les freudiens. Le transfert résulte de la construction même du cerveau. Aucun élément issu de la perception et de son engrammation n’est enregistré plusieurs fois. Tout percept réactive le même percept précédemment mis en place en renforçant les synapses et les dendrites qui lui sont associées. Donc la vue d’un objet n’est jamais que la réactivation de sa précédente perception. Et quand la perception diffère, Jean Piaget nous indique que la solution est dans l’assimilation ou dans l’accommodation. Le transfert est donc une fonction banale de toute activité psychique. Ce que je perçois d’autrui est forcément marqué par tout ce qui, du même registre, l’a précédé : l’attention qu’on me porte hérite nécessairement de toutes celles que j’ai reçues à commencer par celle de ma mère dès la naissance et l’autorité du gendarme qui me verbalise mobilise en moi obligatoirement tous les interdits surmoïques que j’ai connus au cours de mon éducation.

Le problème est que tout ce qui est en somme d’une grande et évidente banalité est mis en avant comme primum movens dans la cure et que l’acte analytique lui-même, placé d’origine sous le signe de la frustration, devient auréolé par la magie du concept de transfert négatif un élément moteur progrédient de la cure. En ne répondant pas aux questions pour, officiellement, les motifs de l’analyse et, officieusement, parce qu’il ne sait pas quoi dire, ni comment le dire, le psychanalyste affirme voir dans la contrariété, somme toute relativement justifiée de son patient, un acte thérapeutique important : celui de l’expression de la réactivation d’anciens vécus négatifs. C’est comme si marchant sur les pieds de quelqu’un et le blessant, il se félicitait en recevant en retour une bordée d’injures et peut-être même un coup de poing furieux, d’avoir permis une décharge motrice longtemps refoulée à l’égard de la figure paternelle.

Prenons encore le cas d’un patient ayant un accès normal à la parole et privilégiant même ce moyen maintenant pour évacuer des tensions internes d’origine traumatique. Il ravira à coup sûr son thérapeute par le brio de ses exposés, la sincérité de ses accès émotionnels, mais il finira par tourner en rond obsédé par une quête sémantique sans fin. Certes le psychanalyste sera au début ravi de le voir mettre en cause sa responsabilité dans des cas où pourtant manifestement elle n’est pas impliquée, sera touché par l’expression d’une souffrance authentique associée au rappel de souvenirs traumatiques, et heureux de constater avec quelle facilité il peut passer d’un état de larmes à un souvenir amusant ; ce qu’il attribue à une catharsis réussie et à une certaine souplesse psychique. Hélas, le patient parle, mais ne va pas mieux. La réponse est dans la vulgate psychanalytique : Réaction thérapeutique négative ; la fameuse RTN.

De fait une meilleure connaissance des traumatismes psychiques permet un autre regard et d’autres hypothèses. Elle fait apparaître dans de pareils cas l’existence de cognitions négatives dans le but de reprendre le contrôle de soi, ce qui n’a rien à voir avec un supposé sens de la responsabilité, ainsi que des conduites automatiques d’évitement quand un contenu douloureux insoluble apparaît. L’affirmation contre toute évidence d’une responsabilité correspond à la pensée magique « Si je suis responsable, je peux changer quelque chose en me rédimant » et à une tentative de maîtrise des émotions par le développement de cognitions appropriées.

On voit donc que dans le cas même ou prévaut une personnalité suffisamment étayée, l’analyse ne peut résoudre une problématique qui relève de la blessure psychologique, comme elle ne pourrait se substituer non plus à un traitement médical ou chirurgical en cas d’infection ou de blessure physiologique.

Résumons-nous : dans les cas favorables le moteur principal de la psychanalyse est la réflexion, permise dans certains cas par le ressenti, malgré le silence, d’une empathie certaine de la part d’un tiers, donc par la perception d’un contexte anaclitique émotionnel favorable. Cette réflexion permet une reprise de certains contenus psychiques jadis bloqués au cours d’une opération de recadrage qu’on appelle : prise de conscience. On voit alors des personnes anciennement dépressives parfois très satisfaites de la cure analytique. Ainsi par exemple Roland Castro, architecte de renom disait publiquement à la télévision le bien qu’il avait éprouvé en faisant une cure avec Jacques Lacan, alors qu’il était tourmenté par des pensées suicidaires.

Dans ces cas le divan renfloue.

Je reviendrai quand même un instant sur la notion de prise de conscience – connexe du concept de recadrage, parce qu’elle apparaît à tort dans l’esprit du public comme une valeur sûre et dans tous les cas positive.

Pourtant attention, méfions-nous du recadrage. Il peut apparaître comme salvateur et il l’est souvent, sous la forme de l’expression d’une prise de conscience libératrice, mais il peut aussi relever de la mise en place d’une certitude délirante, impossible à ébranler.

Qu’est-ce qu’un recadrage ?

Le recadrage s’appuie sur la fonction d’inhibition réciproque entre les cerveaux cognitifs et émotionnels. Une douleur peut être moins grande si on lui donne du sens. Réciproquement quand une victime d’un traumatisme revit une situation où elle a été confrontée à ce que les psychanalystes lacaniens appellent « le réel de la mort », elle ne peut élaborer aucune pensée cognitive, si ce n’est celle affirmant une mort imminente.

Il s’ensuit que des mécanismes de rationalisation existent dont le principal objectif est de restaurer l’équilibre cognitif à tout prix. Il s’agit de réduire par la dissonance cognitive, un ébranlement émotionnel autrement ingérable. Certains processus de rationalisation sont forcés. Ils réclament le maintien d’une énergie de croyance (prières, actes propitiatoires, suivi de règles de vie), d’autres apparaissent comme des évidences, des illuminations. De fait certaines prises de conscience ont un effet heureux d’un point de vue individuel, familial et social. D’autres, comme on peut en observer au cours des conversions et des grands élans mystiques ou pire encore comme celles qui alimentent la paranoïa, le sont moins et amènent certes une maîtrise émotionnelle, mais à quel prix ? Souvent à celui de l’élaboration de convictions délirantes et inébranlables.

Pourtant généralement on affirme qu’il est plus difficile de remettre en cause des idées acquises que d’en acquérir des nouvelles, sauf si celles-ci apportent l’expérience d’un apaisement puissant. C’est ce qu’on peut observer dans les phénomènes de recadrage.

Ceci ne concerne pas que la pathologie. Par exemple il sera très difficile à un psychanalyste de changer un point de vue acquis après de longues luttes, étalées sur des années, éprouvantes et coûteuses, alors qu’il s’est fait enfin un nom et une place dans une communauté de semblables. Il préférera attribuer ses échecs à la résistance du patient, au masochisme, voire même à une manifestation des pulsions de mort, que de remettre en cause sa propre pratique ainsi que les rationalisations qui la sous-tendent et qu’il partage d’ailleurs avec d’autres confrontés au même phénomène. Ainsi sont nés les concepts de résistance, de masochisme féminin et moral et bien sûr aussi les notions de structure névrotique et psychotiques. « Si mon patient décompense sur un mode délirant, ce n’est pas la conséquence de ma pratique, mais c’est dû au fait qu’il révèle ainsi une structure psychotique cachée ». Voyons, mais c’est bien sûr…

Ceci nous amène une fois encore à considérer la place du patient en analyse. Par exemple certaines personnes ont connu une enfance particulièrement éprouvante, faite de peurs précoces, vécues dans un sentiment d’abandon et de solitude. Elles ont réussi malgré tout à faire des études et à trouver un travail. Ceci ne les empêche pas de se sentir mal dans leur peau, ou de présenter une symptomatologie diverse : troubles caractériels, comportements obsessionnels, phobies d’impulsion, attaques de panique, etc., la liste ne saurait être exhaustive. Parfois comme une patiente vue à l’hôpital, pour laquelle j’avais pressenti une pathologie mélancolique, l’apparence exagérément séductrice peut être trompeuse et être édifiée comme un rempart fragile pour tenir à l’écart une haine morbide de soi.

Mis dans un état de privation sensorielle et s’il a la malchance de tomber sur un psychanalyste froid et suffisamment inexpérimenté (Ce fut hélas le cas pour cette patiente mélancolique, faussement diagnostiquée hystérique et qui se tira une balle de fusil dans le cœur au bout d’un mois de prise en charge) il y a de grands risques de le voir décompenser sur un mode interprétatif et délirant. Parler alors de structure psychotique me paraît être l’expression d’une dissonance cognitive. Je crains que dans bien des cas il faille reconsidérer les diagnostics de psychose, non pas parce que la symptomatologie n’en relève pas – elle est suffisamment bruyante pour n’avoir aucun doute à ce sujet – mais parce que son origine est bien souvent iatrogène et devrait interroger sur le mode de prise en charge qui a eu un tel effet dévastateur.

Bien souvent aussi le divan rend fou.

J’ai pris pour exemple dans cet exposé le modèle analytique que j’ai soumis à l’observation phénoménologique, mais j’aurai pu faire de même pour toutes sortes de psychothérapies. La psychanalyse pouvant, de part les modalités que j’ai rappelées, difficilement être rangée parmi elles, puisque son but n’est ni la guérison, ni la sédation symptomatique. Je conclurai ces réflexions en rappelant la nécessité d’une remise en cause constante des pratiques en fonction d’une approche réellement scientifique et objectivement évaluable. Il n’y a aucune raison pour qu’il en soit autrement.

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