Au cours de leur mission, les expatriés s’exposent à des situations hautement stressantes, voire traumatiques appelées incidents critiques. Ces épreuves peuvent se révéler particulièrement éprouvantes même pour des professionnels avertis. Lorsque le stress traumatique des équipes n’est pas reconnu, les risques sont multiples tant au niveau individuel que collectif (plaintes somatique, détresse psychique, troubles du comportement, conflits au sein de l’équipe, prise de risques inconsidérés, efficacité professionnelle détériorée). En raison des ces conséquences désastreuses, la question du stress traumatique du personnel humanitaire ne peut être négligée. Le défusing est une des mesures du programme de prévention et de gestion du stress qu’une organisation humanitaire peut mettre sur pied par à l’intention de son personnel.
Le défusing du personnel humanitaire affecté par un incident critique
Evelyne Josse
Psychologue
http://www.psychologiehumanitaire.netfirms.com
14 avenue Fond du Diable, 1310 La Hulpe , Belgique
Introduction
Au cours de leur mission, les expatriés s’exposent à des situations hautement stressantes, voire traumatiques appelées incidents critiques. Ces épreuves peuvent se révéler particulièrement éprouvantes même pour des professionnels avertis. Affectés dans des pays ravagés par la guerre, ils peuvent être directement confrontés à des situations qui mettent leur vie en péril ou être témoins d’exactions cruelles. Par ailleurs, les organisations humanitaires sont de plus en plus fréquemment visées spécifiquement pour des raisons politiques et pour leurs moyens matériels. En respectant les mesures prises pour assurer la sécurité, on contrôle ce qui peut l’être. Néanmoins, il est impossible d’éliminer tous les risques. Même les zones considérées sûres peuvent réserver des surprises déstabilisantes (grave accident de la route, mort naturelle brutale et inattendue, changement soudain de la situation sécuritaire, catastrophe naturelle, etc.).
Conséquences des incidents critiques
Un incident critique peut être individuel ou collectif. Néanmoins, même lorsqu’il ne concerne directement qu’un seul membre du personnel, il a des répercussions sur l’ensemble de l’équipe, voire sur l’organisation en tant qu’institution (« Quand on touche à un membre de l’organisation, c’est toute l’organisation que l’on attaque »).
Lorsque le stress traumatique des équipes n’est pas reconnu, les risques sont multiples tant au niveau individuel que collectif[1]. Il peut être la cause des plaintes somatique (fatigue, troubles gastro-intestinaux, douleurs musculaires, céphalées, vertiges, tremblements, sueurs, palpitations) et d’une détresse psychique plus ou moins importante (dépression, trouble anxieux, etc.) poussant parfois l’expatrié à quitter prématurément la mission, voire à démissionner de l’organisation. Il peut manifester des troubles du comportement (abus d’alcool ou de drogues, comportement suicidaire, conduite agressive) suscitant ou exacerbant des conflits au sein de l’équipe et l’amenant à prendre des risques inconsidérés pour lui-même et pour autrui (promiscuité sexuelle, accidents de la route, comportement provocateur, etc.). Son efficacité professionnelle va progressivement se détériorer, hypothéquant la qualité de son projet, voire de la mission entière. En raison des ces conséquences désastreuses, la question du stress traumatique du personnel humanitaire ne peut être négligée.
Le défusing est une des mesures du programme de prévention et de gestion du stress qu’une organisation humanitaire peut mettre sur pied par à l’intention de son personnel.
Le défusing : définition
Le terme anglo-saxon « defusing » se traduit généralement par « déchoquage » ou « désamorçage ». Il s’agit d’entretiens collectifs et individuels dont le but est de constituer un passage entre le chaos engendré par une situation d’urgence et le début d’une période de reconstruction et de reprise des activités quotidiennes. Le défusing n’est pas une psychothérapie mais une démarche préventive non experte de soutien basé sur l’empathie.
Les défuseurs
Les défuseurs sont des membres du personnel de l’organisation humanitaire en poste au siège. Ils doivent avoir reçu une formation spécifique au soutien psychosocial d’urgence. Ils ont pour mission d’offrir à leurs collègues en difficulté un support émotionnel basé sur la camaraderie ainsi qu’une aide administrative et pratique. Les défuseurs, de par leur connaissance de l’organisation, contribuent à offrir un soutien rapidement disponible, adapté aux besoins, aux objectifs et aux principes de l’ONG.
Objectifs du défusing
Le défusing vise à désamorcer la situation émotionnelle et à réduire (et non à faire disparaître) l’intensité des réactions à court terme (état de choc, état de stress aigu) générées par l’incident critique au sein de l’équipe humanitaire. Il permet aux personnes de partager leur expérience et d’exprimer leurs problèmes ou leurs inquiétudes immédiates.
Le défusing constitue :
– une façon de mobiliser les ressources d’aide psychosociale disponibles au sein même de l’organisation humanitaire.
– une excellente occasion d’égaliser le niveau d’information quant à l’incident critique.
– une façon pour l’ONG de reconnaître qu’une équipe a vécu des événements difficiles.
– un procédé visant à réduire rapidement l’intensité des réactions émotionnelles et à les normaliser.
– un moyen de favoriser la dynamique d’équipe et de stimuler le soutien émotionnel que peuvent s’offrir les personnes concernées par l’incident critique.
– une opportunité d’évaluer la nécessité de mettre en place une procédure de soutien plus importante (telle que débriefing[2], aide individuelle, période de repos, évacuation, etc.).
Lorsqu’ils jugent des actions additionnelles nécessaires, les défuseurs en rendent compte à l’équipe opérationnelle de terrain qui, suivant le cas, décide de la suite à réserver à la recommandation (par exemple, évacuer un expatrié en détresse) ou relaie la demande au siège (par exemple, pour une intervention de débriefing).
Le défusing devrait compléter, sans les remplacer, les autres moyens de soutien offerts par l’organisation humanitaire (tels que le soutien des supérieurs hiérarchiques, le soutien téléphonique du siège, les débriefings, la possibilité de consulter un psychologue ou un psychiatre lorsque la situation le nécessite, etc.).
Ce soutien externe à la mission doit être confidentiel et neutre d’un point de vue opérationnel. Ce qui se passe et se dit au cours du défusing ne doit pas affecter la carrière des personnes au sein de l’organisation.
Délai et durée d’intervention des défuseurs
La procédure de défusing est enclenchée le plus rapidement possible (idéalement dans les 48 heures) après un incident critique grave. Une équipe de deux défuseurs est envoyée sur le terrain où s’est produit l’événement critique et/ou sur le site d’évacuation.
La durée moyenne de l’intervention des défuseurs est de 3 à 4 jours par site d’intervention[3]. Dans certaines circonstances, leur séjour peut se prolonger jusqu’à une semaine (par exemple, dans le cadre d’un kidnapping, lorsque les responsables de la mission sont mobilisés par les négociations avec les ravisseurs tout en devant continuer à assumer les affaires courantes et que par manque de temps, ils ne sont pas en mesure de prendre soin des membres affectés de l’équipe).
Bibliographie de l’auteur
Articles d’Evelyne Josse sur les problématiques humanitaires disponibles on-line
Stress et traumatisme du personnel expatrié
Sur http://www.psychologiehumanitaire.netfirms.com :
– Les expatriés dans la tourmente. Le stress humanitaire
– Comment faire? Le débriefing psychologique des expatriés affectés par un incident critique
– Comment gérer le stress dépassé lié à l’expatriation ?
– Commet gérer le stress traumatique survenant dans le cadre d’une expatriation ?
– Le débriefing psychologique dans un cadre professionnel
Problématiques humanitaires
Sur http://www.psychologiehumanitaire.netfirms.com :
– Guide pour un assessment rapide des besoins psychosociaux et en santé mentale des populations affectées par une catastrophe naturelle
– Le traumatisme dans les catastrophes humanitaires
– Reconstruire le quotidien après un traumatisme collectif. Éloge du quotidien, de la routine, des rites et des rituels
– Les enfants des rues. L’enfer du décor
-Violences sexuelles et conflits armés en Afrique
[1] Pour plus de détails, voir l’article de l’auteur : « Les expatriés dans la tourmente. Le stress humanitaire » sur http://www.psychologiehumanitaire.netfirms.com
[2] Voir les articles de l’auteur : « Comment faire ? Le débriefing psychologique des expatriés affectés par un incident critique » et « Le débriefing psychologique dans un cadre professionnel » sur http://www.psychologiehumanitaire.netfirms.com
[3] Dans certains cas, il est utile de procéder au défusing de :
– l’équipe évacuée dans un pays limitrophe
– l’équipe restée sur le terrain après l’incident critique
– l’équipe basée en capitale