La première partie de cet article présente les définitions de la torture selon différents organes internationaux de lutte contre la torture. Elle s’attache à détailler le but, les moyens et les techniques de torture (techniques naturelles, instrumentales, psychologiques, violences sexuelles, procédures scientifiques, brutalités spécifiques liées aux attributs identitaires). Elle souligne la capture de la victime comme moment particulier de torture. Elle s’attarde sur la clinique de la torture (traumatisme complexe, conséquences psychologiques, conséquences au niveau individuel et social) et se penche ensuite sur les bourreaux (les conflits communautaires comme facteurs favorisant le phénomène de la torture, obéissance et soumission, représentations des victimes, fabrication des tortionnaires). La deuxième partie illustre la torture collective dans un contexte de conflit, celui de la guerre qui a fait rage en Bosnie durant les années 1992-1993. Elle évoque la guerre en Bosnie, l’épuration ethnique, les camps de concentration, les détenus, les sites de torture, les sévices, les témoignages, les tortures et leurs conséquences.
Evelyne josse
2006
http://www.psycho-ressources.com/evelyne-josse.html
14 avenue Fond du Diable, 1310 La Hulpe , Belgique
Psychologue clinicienne (hypnose éricksonnienne, EMDR, thérapie brève), psychothérapeute en consultation privée, psychologue du programme ASAB, expert en hypnose judiciaire, consultante en psychologie humanitaire
Merci à Hvalenka, mon interprète
Merci à Sadik et à tous ceux qui m’ont accordé leur confiance en me racontant leur histoire
Merci aux enfants qui m’ont offert les merveilleux dessins reproduits dans le présent article
« La menace constante de la mort ne peut guère enseigner que deux choses : avoir peur et mourir » (« Automne allemand », Stig Dagerman)
Référence du présent texte : « La torture de masse. Le cas de l’ex-Yougoslavie », Evelyne Josse, http://www.psycho-solutions.be, 2006
Photo de couverture : « Une fenêtre ouverte sur la guerre », Evelyne Josse, 1993
Table des matières
Avant-propos
Introduction
La torture, repères notionnels
1. Définition selon les organes internationaux de lutte contre la torture
2. Le but de la torture
3. Les moyens de la torture
4. Les techniques de torture
4.1. Les techniques naturelles
4.2. Les techniques instrumentales
4.3. Les moyens psychologiques
4.4. Les violences sexuelles
4.5. Les procédures scientifiques
4.6. Brutalités spécifiques liées aux attributs identitaires
5. La capture de la victime, moment particulier de torture
6. Clinique de la torture
6.1. Un traumatisme complexe
6.2. Les conséquences psychologiques de la torture
6.2.1. Les différents niveaux de conséquences de la torture, de l’individuel au social
6.2.2. Les conséquences au niveau individuel
5. Les bourreaux
5.1. Les conflits communautaires, facteurs favorisant le phénomène de la torture
5.2. Obéissance et soumission
5.3. Bourreaux et représentations des victimes
5.4. La fabrication des tortionnaires
Le cas de l’ex-Yougoslavie
1. La guerre en Bosnie
2. L’épuration ethnique
3. Les camps de concentration en Bosnie
3.1. Les détenus
3.2. Les sites de torture
3.3. Les sévices
4. Les témoignages
4.1. Les tortures
4.2. Les conséquences de la torture
Bibliographie
L’auteur
Avant-propos
Ce n’est qu’après 13 ans d’attente que je me suis mise en demeure de relater les horreurs perpétrées en Bosnie durant les années de guerre civile (1992-1993) et ainsi honorer la promesse que j’ai faite à ces adolescents et à ces hommes de relayer le témoignage de leurs souffrances.
Comme le relève Françoise Sironi dans son ouvrage « Victimes et bourreaux », les récits traumatiques sont constitués de paroles « actives » et « agissantes ». Celles-ci ont la capacité de transmettre à celui qui les écoute de fortes émotions telles que l’angoisse, la tristesse, la colère, l’humiliation, etc. Or, « la torture fait taire. Elle fait taire victime et bourreaux dans un même silence »[1]. Un silence qui nimbe pareillement familles, thérapeutes et tous ceux qui recueillent les confidences des âmes torturées. Le silence de la torture est contagieux et se propage comme une onde, entraînant une réaction en chaîne. Un silence qu’il faut briser par devoir de mémoire.
Introduction
En 2000, Amnesty International[2] déclarait que la torture était pratiquée dans 150 pays sur 198. Or, tous les textes internationaux, pourtant ratifiés par la plupart des pays contrevenants, interdisent formellement cette pratique contraire aux droits humains. En 1949 déjà, la troisième Convention de Genève[3] relative au traitement des prisonniers de guerre interdisait strictement la torture et tous les actes de pression physique ou psychologique sur les prisonniers. Force est de constater que les traités n’arrêtent pas la cruauté des hommes.
Contrairement à une croyance largement répandue, la torture n’a pas pour but de faire parler ceux qui la subissent. Les tortures collectives perpétrées dans le cadre de l’épuration ethnique en ex-Yougoslavie le prouvent de manière évidente. Les tortionnaires serbes ne désirent obtenir aucun renseignement particulier. Ce qu’ils visent, c’est la destruction symbolique de tout ce qui n’est pas serbe dans un territoire idéalisé, celui de la « Grande Serbie ».
Dans le présent article, je cherche à définir la torture et à illustrer la torture collective dans un contexte de conflit, celui de la guerre qui a fait rage en Bosnie durant les années 1992-1993. Des milliers de Musulmans et de Croates ont été tués, brutalisés et chassés de leur foyer aux fins d’épurer ethniquement une région, celle de la « Grande Serbie ».
La notion de « Grande Serbie » date de 1844, lorsqu’un prêtre orthodoxe serbe, Garasanin, en conçoit la création et en publie le « Nacertanije », le plan.
En 1941, le général Draza Mihajlovic, commandant des tchetniks[4] royaux, la précise en énonçant les buts de guerre :
« Création d’une grande Yougoslavie avec la Grande Serbie , qui devra être ethniquement pure à l’intérieur des frontières de la Serbie , du Monténégro, de la Bosnie-Herzégovine , du Srijem et de la Backa ;
épuration du territoire de l’Etat de toutes les minorités nationales et de tous les éléments non nationaux;
création de frontières communes entre la Serbie et le Monténégro et entre la Serbie et la Bosnie par l’épuration de la population musulmane du Sanjak et de la population musulmane et croate de Bosnie;
lutte ayant pour but d’incorporer dans notre Etat tous les territoires slovènes dépendant de l’Italie et de l’Allemagne, ainsi que de la Bulgarie et de l’Albanie septentrionale avec Shkoder. »[5]
Une autre figure historique, Mile Santic, commandant militaire tchetnik, a contribué lui aussi au projet de Grande Serbie, lorsqu’en 1942, il déclare :
« Les terres serbes doivent être épurées des Catholiques et des Musulmans. Elles ne seront peuplées que par des Serbes. L’épuration sera faite à fond. Nous les refoulerons tous et nous les détruirons sans exception et sans pitié. Ce sera le point de départ de notre libération. Cela doit être fait très rapidement et avec une ferveur révolutionnaire.»[6]
En 1943, le capitaine Milos N. Jovanovic, également commandant des tchetniks, affirme dans sa lettre :
« Il ne restera pas un seul Musulman parmi nous. Nous détruirons sans merci tous ces Catholiques qui ont péché contre notre peuple, ainsi que tous les intellectuels et tous ceux qui sont économiquement mieux placés. »[7]
Plus récemment, ce plan a été énoncé dans un « mémorandum » publié à Belgrade en 1984 par l’Académie serbe des Sciences et des Arts.
S’il est manifeste que des atrocités ont été commises en 1992-1993 au nom d’un plan conçu de longue date, il faut s’insurger contre l’idée que le peuple serbe est d’une brutalité atavique. Il est évident que l’ensemble de la communauté serbe n’adhère pas à ces projets nationalistes racistes de « Grande Serbie » ni aux horreurs qui ont été commises en son nom.
La torture, repères notionnels
1. Définition selon les organes internationaux de lutte contre la torture
Trois définitions émanant d’instruments internationaux de lutte contre la torture font autorité, celle de la Déclaration de Tokyo de l’Association Médicale Mondiale, celle de la Convention des Nations Unies contre la torture et celle de la Convention Interaméricaine pour la Prévention et la Répression de la Torture.
En 1975, la Déclaration de Tokyo de l’Association Médicale Mondiale[8] définit la torture « comme les souffrances physiques ou mentales infligées à un certain degré, délibérément, systématiquement ou sans motif apparent par une ou plusieurs personnes agissant de leur propre chef ou sous l’ordre d’une autorité pour obtenir par la force des informations, une confession ou une coopération de la victime, ou pour toute autre raison. ».
Cette définition comprend les souffrances infligées par une personne agissant de son propre chef sans motif apparent ; elle inclut ainsi les violences domestiques aussi bien que les activités criminelles ou politiques.
Selon la Convention des Nations Unies contre la torture[9] adoptée en 1984 et entrée en vigueur en 1987[10], le terme de torture correspond à « Tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës physiques ou mentales sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou de l’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsque de telles douleurs ou souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles. »
Cette définition souligne trois éléments essentiels de la torture : le fait d’infliger une douleur ou des souffrances physiques ou mentales aiguës, la responsabilité des autorités (consentement ou accord) et la poursuite d’un but spécifique qui distingue la torture d’autres traitements cruels.
Signée en 1985 et entrée en vigueur en 1987, la Convention Interaméricaine pour la Prévention et la Répression de la Torture[11] désigne par torture « l’application à toute personne de méthodes visant à annuler la personnalité de la victime ou à diminuer sa capacité physique ou mentale même si ces méthodes et procédés ne causent aucune douleur physique ou angoisse psychique ».
Cette définition énonce l’objectif généralement poursuivi par la torture à savoir détruire l’identité des victimes.
En 2000, Amnesty International[12] précise que « la torture est souvent le fait de policiers, de militaires, d’agents des services de renseignement, de surveillants de prison ou d’autres agents des pouvoirs publics. Ce n’est cependant pas toujours le cas. Des actes de torture sont parfois perpétrés par des personnes appartenant à des groupes politiques armés ou, dans certaines circonstances, par des particuliers ».
2. Le but de la torture
Pour Françoise Sironi « la torture est une technique traumatique dont la fonction majeure, au-delà d’extirper des renseignements et susciter l’aveu, est d’être une méthode de déculturation. Elle réduit la personne à sa part universelle et la prive délibérément de sa singularité et de ses affiliations. Au travers d’une personne singulière que l’on torture, c’est en fait son groupe d’appartenance que l’on veut atteindre : on attaque la « part collective » de l’individu, celle qui le rattache à un groupe désigné comme cible par l’agresseur, en désintriquant l’articulation entre le singulier et le collectif […]. Elle (la torture) est l’outil le plus visible, car le plus frappant, des différents aspects que peut prendre la déculturation. Elle est l’instrument du déni, de l’annihilation de toute spécificité (culturelle, individuelle) et réduit l’humain à son noyau, à sa part la plus universelle. »
Marcello Vignar, cité par Sironi, définit la torture comme « toute dispositif intentionnel, quelles que soient les méthodes utilisées, qui a pour finalité de détruire les croyances et les convictions de la victime afin de la dépouiller de la constellation identitaire qui la constitue comme personne. »
La torture constitue donc un processus de déshumanisation. Ce qu’elle vise, c’est détruire le sentiment d’appartenance des victimes à l’espèce humaine. Elle est une agression contre la dignité et l’intégrité physique, psychologique et sociale des individus dans le but de les exclure de la communauté humaine. Elle ruine leur estime d’eux-mêmes, brise les liens qui les rattachent à leur groupe d’appartenance (familial, communautaire, social, politique, religieux, ethnique, etc.), anéantit la confiance qu’ils ont en l’être humain, bouscule la prévisibilité du monde et modifie ou obère l’accès au sens des choses.
3. Les moyens de la torture
Les tortionnaires soumettent leurs victimes à des épreuves extrêmes conçues comme excessives et insupportables. Quelles que soient les sociétés, certaines expériences telles que le cannibalisme, le spectacle de l’agonie d’autrui, l’ingestion d’excréments, la trahison de proches, la mort d’êtres chers, l’inceste, etc. provoquent des émotions et des réactions universellement prévisibles comme la peur, l’angoisse, l’effroi, la tristesse, l’horreur, la répulsion et le dégoût. Les bourreaux tourmentent leurs proies jusqu’à l’éclatement de leurs défenses psychiques en recourant à des méthodes engendrant intentionnellement un traumatisme. Nous allons envisager ci-dessous les différentes enveloppes structurant le psychisme et les moyens mis en œuvre par les tortionnaires pour les abolir. Les différentes techniques de torture sont reprises au chapitre suivant.
q Le sentiment d’individualité des victimes est annihilé de diverses manières :
- Leur altérité est effacée par :
– le dépouillement de leurs biens et objets personnels : vêtements, montre, bijoux, etc.
– le gommage des attributs marquant leur identité : rasage des cheveux pour les femmes ou de la barbe pour les dignitaires musulmans, port d’un uniforme, etc.
- Leur intégrité corporelle est délitée par :
– les douleurs physiques intenses : coups, brûlures, décharges électriques, ingestion de produits toxiques, positions non physiologiques, etc.
– les mutilations : amputations (notamment sexuelles), arrachage des ongles ou de dents saines, etc.
– les privations de toute nature : insuffisance de nourriture et de boisson, de stimulations sensorielles, de sommeil, d’oxygène (suffocation), de motilité, etc.
- Leur sphère individuelle est abolie par la suppression de la vie privée et de l’intimité.
q Les sentiments de valeur personnelle et de dignité humaine sont bafoués par les méthodes suivantes :
- les dévalorisations et humiliations multiples : railleries, moqueries, insultes, marquage dans la chair de symboles propres à la communauté des tortionnaires (par exemple, croix gravée sur le corps des musulmans), etc.
- l’affaiblissement du corps dont l’objectif est de briser la force physique : travaux forcés, privation de nourriture, réduction des temps de repos, passages à tabac, manque de soins médicaux, etc.
- la soumission dont le but est de casser la force mentale : obéissance forcée à des règles édictées par les bourreaux (par exemple, interdiction de parler), exécutions contraintes d’actes multiples, anodins et atroces.
- la transgression forcée de valeurs et de tabous personnels :
– Les victimes sont poussées à trahir les leurs pour garder la vie sauve ; elles doivent maltraiter ou tuer un compagnon pour ne pas être elles-mêmes maltraitées ou tuées. En choisissant ainsi entre la peste et le choléra, elles se condamnent au remord et à la culpabilité et deviennent leur propre bourreau.
– Les zones corporelles de contact et d’échange intime sont marqués du sceau de la souillure : la bouche est polluée par les excréments ingérés et par les fellations forcées ; les organes sexuels sont salis par les viols et les rapports sexuels contre-nature avec des animaux, etc.
- la transgression forcée de valeurs et de tabous culturels :
– transgression de l’axe dedans (corps de la victime)-dehors : ingestion forcée de substances expulsées du corps (urine, excréments, vomissure) ou externes à celui-ci (huile de moteur, produits ménagers, etc.)
– transgression de l’axe générationnel : rapports sexuels forcés entre parents et enfants
– franchissement des limites du règne humain par des actes contre-nature : rapports sexuels avec des animaux, cannibalisme, etc.
– outrages aux valeurs religieuses par des paroles et des actes blasphématoires ou des rapports sexuels considérés comme impies (par exemple, la sodomie dans le monde musulman)
– forçage des limites du cercle amical et transfert dans le cercle ennemi de biens (notamment des informations) réservés aux alliés : contrainte à trahir de secrets ou à livrer des renseignements confidentiels
– violations des règles culturelles : contrainte à bafouer des symboles culturels (par exemple, insulter sa patrie ou ses leaders, déchirer ou brûler un drapeau, etc.)
q Les sentiments d’appartenance sont systématiquement sabrés. Les bourreaux dépouillent méthodiquement les victimes du sens qu’elles ont vis-à-vis d’elles-mêmes, dans leur culture et dans le groupe humain. Elles sont désaffiliées, dissociées, invalidées et disqualifiées des multiples références qui les déterminent.
- Le sentiment d’appartenance à l’espèce humaine :
– la transgression de valeurs et de tabous personnels ou culturels, le fait d’être traité comme du bétail de par la soumission à laquelle les victimes sont assujetties et la précarité des conditions de vie (manque d’hygiène, surpopulation, etc.), l’imitation forcée d’animaux (marcher comme un canard, aboyer, etc.), désagrège le sentiment de faire partie de la communauté humaine.
– les cruautés diverses infligées battent en brèche la confiance que les victimes placent en l’être humain : douleur infligées par les différents sévices, menace de mort sur les membres de la famille, simulacres d’exécution, obligation d’assister à la torture et à l’agonie des compagnons d’infortune, etc.
– les dévalorisations et les dévaluations rabaissent les individus en-deçà du rang de l’espèce humaine : railleries, moqueries, insultes (par exemple, vermine, cafard, etc.), réification (attribution d’un numéro en guise d’identité), marquage du corps (numéro d’identification inscrit dans la chair à la manière du bétail)
- Le sentiment d’appartenance au groupe communautaire :
– Les transgressions culturelles poursuivent un processus de déculturation, elles provoquent une fracture avec l’univers de référence et une désaffiliation du groupe d’appartenance (familial, communautaire, social, politique, religieux, ethnique, etc.) (voir supra)
– L’isolement de l’univers de référence prive délibérément les victimes de la multiplicité des réseaux qui les constituent : détention au secret, sans contact avec le monde extérieur (notamment avec la famille), isolement total prolongé en cellule, adoption forcée de règles de vie imposées par les tortionnaires, contraires aux habitudes
q Le sentiment de sécurité est anéanti dès que les victimes tombent aux mains de leurs bourreaux.
- La confrontation constante au danger de mort crée un état interne d’urgence permanente : les sévices subis susceptibles de mettre la vie en péril (coups, brûlures, suffocation, ingestion de produits toxiques, etc.), le spectacle de l’exécution des compagnons d’infortune, la confrontation aux tortures infligées aux autres détenus (les entendre crier ou agoniser, les voir souffrir ou mourir), les mises en scène diverses telles que les simulacres d’exécution, etc.
- L’absence de maîtrise sur les sévices et les souffrances (impossibilité de les faire cesser, de les éviter, de les écourter, d’en réduire l’intensité, etc.), que ce soit par leur comportement (par exemple, l’obéissance et la coopération ne suffisent pas à éviter les brutalités) ou leurs propos (la révélation de renseignements n’arrête pas nécessairement les sévices), réduit les victimes à l’impuissance et provoque leur défaite mentale devant le danger.
- Les victimes sont parfois contraintes de signer de fausses déclarations (notamment des aveux de culpabilité) participant ainsi à leur propre mise en danger.
q Le sentiment d’autonomie et le sentiment de contrôle (sur soi, sur sa vie, sur les événements) sont réduits à néant par l’état de dépendance absolue auquel les tortionnaires soumettent les victimes et qui leur interdit d’agir selon leurs valeurs et leurs normes. Cette dépendance s’extorque par divers moyens :
- La soumission et l’obéissance aux codes établis par les tortionnaires : réglementation totale de la vie des victimes, exécutions contraintes d’actes multiples des plus anodins aux plus atroces, etc.
- L’absence de maîtrise et l’indépendance entre les actions des victimes et les brutalités qu’elles subissent. L’inéluctabilité, l’imprévisibilité et l’incontrôlabilité des sévices et des souffrances engendrent une « résignation acquise » ou « impuissance acquise »[13].
- Les privations et les saturations sensorielles dépossèdent les victimes des outils permettant d’appréhender le monde qui les entoure : bandeau oculaire, pièce plongée dans l’obscurité, détention en chambre sourde ou à contrario, lumière aveuglante, lumière intense de jour comme de nuit, bruits violents, etc.
- Des modifications psychiques sont parfois provoquées intentionnellement par l’ingestion forcée de médications psychotropes.
q La prévisibilité du monde et l’accès au sens des choses sont altérés par l’intentionnalité des violences subies. Celle-ci dissout les lois qui régissent l’humanité, remet en cause les valeurs essentielles de l’existence (la paix, l’altruisme, la solidarité, l’amitié, l’éthique, le prix de la vie) et suscite dès lors une interrogation sur l’Homme. De plus, les événements se succèdent si rapidement, de manière si inattendue et dramatique que la victime ne parvient plus à les appréhender. En effet, les expériences liées à la torture ne possèdent pas de connexions causales avec les autres événements significatifs et les épisodes de sa vie ; elles ne correspondent pas à des étapes logiques et attendues ; elles ne semblent pas avoir une fin autre que tragique (par la mort dans d’atroces souffrances). Les croyances de base telles que la vie recèle une signification et poursuit un but, que l’univers est sensé, prédictible, contrôlable et logique, etc., s’en trouve ruinées et la compréhensibilité du sens des choses, oblitérée.
q Le vouloir : les désirs, les attentes, les aspirations et les projets d’avenir. Vouloir, c’est toujours vouloir un futur, c’est vouloir que le futur « soit » et qu’il soit ce qu’on en attend. En effet, les désirs, les attentes, les aspirations et les projets ont en commun d’être orientés vers un futur souhaité. Or, le présent de la torture n’autorise pas l’espoir d’un futur positif. Dès lors, l’avenir est incapable d’étayer les représentations de l’avènement des désirs et des actions (« demain, je ferai… », « dans un mois, je pourrai ») et laisse un sentiment écrasant d’impuissance.
4. Les techniques de torture
Les procédés permettant de briser la nature humaine vont des plus simples aux plus sophistiquées. Sans vouloir être exhaustive, citons les techniques naturelles et instrumentales, les moyens psychologiques, les violences sexuelles, les procédures scientifiques ainsi que quelques brutalités spécifiques liées aux attributs identitaires de la victime. Comme toute catégorisation, celle-ci est arbitraire. Ainsi, les sévices physiques et psychologiques sont étroitement liés et poursuivent les mêmes répercussions internes.
4.1. Les techniques naturelles
Les techniques naturelles ne nécessitent aucun instrument. Les plus couramment utilisées sont :
ð les privations de toute nature : insuffisance de nourriture et de boisson, de sommeil, de soins, de stimulations sensorielles (bandeau oculaire, détention en chambre sourde ou dans une pièce plongée dans l’obscurité), d’oxygène (suffocation), de motilité (station debout prolongée sans pouvoir bouger, contention douloureuse par des liens serrés)[14], sociale (isolement total prolongé)
ð l’hyper-stimulation sensorielle : confrontation à des bruits violents ou à une lumière aveuglante, lumière intense de jour comme de nuit, etc.
ð les positions non physiologiques : garder les bras levés ou liés dans le dos, rester durant de longues heures sans bouger assis, accroupi, debout, en appui sur un pied, sur la pointe des pieds, etc.
ð les coups (préférentiellement sur les parties les plus sensibles du corps) : coups de poing, coups de pied, gifles sur les oreilles[15]
ð la détention au secret : détention non reconnue par les autorités ou sans aucun contact avec l’extérieur (famille, avocat)
ð l’ingestion forcée de substances expulsées du corps (urine, selles, vomissure)
Les privations, l’hyper-stimulation et les positions non physiologiques laissent généralement peu de traces physiques visibles. Les séquelles ne sont cependant pas négligeables. Par exemple, les déprivations sensorielles peuvent occasionner des atteintes non réversibles des organes sensoriels ; certaines positions provoquent des douleurs séquellaires, voire des dommages, au niveau de la moelle épinière.
Parce qu’elles ne nécessitent aucun investissement technique ou financier, parce qu’elles sont applicables immédiatement et sur un grand nombre de personnes simultanément, parce qu’elles sont un moyen redoutable d’infliger la souffrance, les tortures « naturelles » sont fréquemment utilisées par les bourreaux, notamment dans les contextes de guerre.
4.2. Les techniques instrumentales
Les techniques instrumentales recours à des objets ordinaires aussi bien qu’aux technologies les plus sophistiquées.
q Parmi les techniques faisant usage d’objets ordinaires, mentionnons :
ð les coups assénés à l’aide de bâton, de barre de fer ou d’autres objets, les flagellations infligées par des ceinturons, des branches de bois souples ou des câbles d’acier ainsi que les blessures provoquées par des outils contondants, des morceaux de verre ou des cailloux pointus[16]
ð les positions non physiologiques par suspension par les poignets, les pieds, etc. à l’aide de cordage, de chaînes, de câbles ou de barres
ð les brûlures provoquées par des cigarettes, des produits acides, des liquides portés à ébullition (par exemple, huile), des métaux chauffés à blanc
ð les suffocations par submersions dans des liquides naturels (eau, urine, selles, sang) ou chimiques (essence, huile mécanique, produits d’entretien, etc.), par intromission de chiffons dans les orifices buccaux et nasaux, par introduction de la tête dans un sac en plastique, etc. .
ð l’ingestion de produits impropres à la consommation : produits chimiques tels qu’essence, huile mécanique, produits d’entretien, etc.
ð les mutilations commises à l’aide d’outils simples (pince, marteau, etc.) telles que l’arrachage des ongles ou la fracture des dents
Tout comme les techniques naturelles, celles qui recourent aux objets usuels, sont très économiques, tant financièrement que techniquement. Elles permettent de torturer un grand nombre de personnes en peu de temps. Elles sont, de ce fait, d’un usage répandu parmi les tortionnaires et notamment dans les contextes de guerre.
q Les instruments technologiques regroupent les appareils dispensant des décharges électriques (matraques, électrodes, ceinture, etc.). Le plus souvent, les décharges sont délivrées sur les parties du corps les plus innervées (organes génitaux, bouche, doigts et orteils, etc.)
4.3. Les moyens psychologiques
Rappelons que la torture a pour but de briser la part humaine des victimes et donc, leur appartenance au monde des humains. Toute technique de torture, quelle qu’elle soit, constitue donc un vecteur de souffrance morale. Néanmoins, les tortionnaires recourent à certains procédés dans lesquels l’intégrité physique du corps des victimes est préservé. Ces formes sont appelées « torture blanche » car elles ne laissent pas de traces physiques.
Voici quelques exemples de torture psychologique :
ð les railleries, les moqueries, les insultes visant la victime (son apparence physique, ses organes génitaux, son appartenance politique ou ethnique, etc.), ses proches ou sa communauté
ð les humiliations tels que les déshabillages forcés, l’imitation forcée d’animaux (marcher comme un canard, aboyer, etc.), etc.
ð les conditions précaires de détention limitant drastiquement la satisfaction des besoins primaires (en nourriture, boisson, hygiène, soins médicaux) et sociaux (isolement, surpeuplement, interdiction de parler à ses co-détenus, etc.) reléguant les détenus à un rang inférieur au bétail
ð les menaces de mort proférées à l’égard des victimes ou de leurs proches
ð l’exécution des proches ou de compagnons d’infortune
ð la confrontation aux tortures infligées aux autres détenus (les entendre crier ou agoniser, les voir souffrir ou mourir) faisant redouter prochainement le même sort
ð les allégations affligeantes des bourreaux telles que les déclarations (avérées ou mensongères) de décès de proches des victimes, déclarations ou fausses preuves de trahison de leurs proches
ð la contrainte à transgresser des valeurs et des tabous personnels, religieux et culturels : obligation de signer des fausses accusations concernant sa propre personne ou des proches, astreinte à renier des valeurs sacrées personnelles ou communautaires (voir : 4.6. Brutalités spécifiques liées aux attributs identitaires)
ð les mises en scène diverses telles que simulacres d’exécution
ð les promesses de libération non tenues
ð les choix impossibles : Les victimes sont poussées à trahir les leurs pour garder la vie sauve ; elles sont contraintes à dénoncer un compagnon pour éviter que ne soit torturé un membre de leur famille ; elles doivent maltraiter ou tuer un co-détenu pour ne pas être elles-mêmes maltraitées ou tuées, etc.
4.4. Les violences sexuelles
La sexualité cristallise de nombreuses valeurs et de multiples tabous, tant personnels que sociaux. En effet, la majorité des individus répugnent à envisager la sexualité hors d’une relation intime et toute contrainte provoque détresse et humiliation. Par ailleurs, toutes les sociétés régulent, codifient, fixent, voire légifèrent, l’accès à la sexualité. Ainsi, une relation sexuelle sera permise avec un partenaire répondant à des critères spécifiques mais l’envisager dans tout autre cadre est prohibé. Par exemple, dans certaines cultures, les relations sexuelles et le mariage ne sont concevables qu’avec un individu d’une ethnie, d’une tribu ou d’une religion déterminées alors que pour d’autres, le consentement du partenaire, quelle que puisse être son origine, est un pré-requis indispensable. Pour la plupart des communautés, l’accès à la sexualité est soumis à l’âge des individus et pour toutes, l’inceste est strictement interdit. Contrevenir à ces règles expose le plus souvent les personnes à l’opprobre, voire au rejet social.
L’importance de la sexualité et du contrat social dont elle est l’objet tient au fait que dans la plupart des sociétés, les groupe s’unissent et s’allient en mariant leur enfant. Ces alliances sont par ailleurs renforcées par la progéniture qui naît des unions.
Au vu de l’importance que revêt la sexualité pour les individus et pour les communautés, il n’est pas étonnant que dans la majorité des cas, les victimes de torture subissent de sévices d’ordre sexuel[17]. Les femmes et les fillettes sont violées presque systématiquement par leurs bourreaux tandis que les organes sexuels des hommes et des garçons sont fréquemment le siège privilégié des brutalités qui leurs sont infligées. Les détenus masculins sont également souvent contraints à avoir des relations sexuelles avec leurs compagnons d’infortune.
Voici les violences sexuelles les plus fréquemment pratiquées :
ð les railleries et les moqueries par rapport aux organes sexuels
ð les brutalités exercées sur les zones génitales : décharges électriques, coups, torsions, etc.
ð l’introduction d’objets dans le vagin ou l’anus (bouteille, matraque, bâton)
ð l’amputation des organes génitaux
ð la destruction des fonctions reproductives (ligature)
ð le spectacle du viol des membres de sa famille par les tortionnaires ou par des co-détenus
ð les relations sexuelles contraintes avec un de ses proches (parent, enfant, fraterie)
ð les actes sexuels forcés tels que fellations entre détenus ou prodiguées aux gardes, militaires, etc.
ð le viol (viols multiples[18], collectifs[19], sodomie) accompagnés le plus souvent de brutalités et de coups
ð les grossesses forcées. Les femmes sont violées de façon répétée jusqu’à ce qu’elles soient enceintes. Elles sont maintenues en captivité jusqu’à un terme avancé de la gestation et sont relâchées lorsqu’un avortement ne peut plus être pratiqué. Il s’agit d’une stratégie visant délibérément à corrompre les liens communautaires en forçant les femmes à donner naissance à un enfant porteur de l’identité culturelle des bourreaux.
ð pour les hommes, les relations sexuelles forcées avec un co-détenu. Les tortionnaires forcent les hommes à avoir des rapports sexuels entre eux comme forme de « divertissement ».
ð pour les hommes, les relations sexuelles forcées avec un militaire, un garde, etc. Les tortionnaires peuvent faire subir des agressions sexuelles aux détenus pour les humilier ou pour assouvir leurs propres pulsions sexuelles.
ð les rapports sexuels contre-nature : relations sexuelles avec un animal
4.5. Les procédures scientifiques
Les procédures scientifiques nécessitent le conseil, voire la participation active, d’un professionnel de la santé. Citons :
ð l’administration de produits pharmaceutiques ou chimiques
ð les amputations et mutilations non médicales (notamment des organes génitaux)
4.6. Brutalités spécifiques liées aux attributs identitaires
De nombreuses brutalités forcent les victimes à transgresser des valeurs et des tabous personnels et culturels. D’autres visent explicitement les caractéristiques propres à un individu.
ð les sévices liés à la culture de la victime : contrainte à bafouer des symboles culturels : insulter sa patrie, déchirer des photos de leaders, brûler un drapeau, inscription au fer rouge ou au couteau de symboles (par exemple, « U » pour Ustachi[20] gravés dans la chair des croates), etc.
ð les sévices liés à la religion de la victime : contrainte à proférer des paroles ou à accomplir des actes blasphématoires, rapports sexuels considérés comme impies (par exemple, la sodomie dans le monde musulman), rasage de la barbe des dignitaires musulmans, crucifixion des catholiques, inscription au fer rouge ou au couteau de symboles religieux (tels que croix)
ð les sévices liés aux spécificités de la victime : victime torturée par un objet qu’elle possède ou a possédé [21], sévices inspirés de sa profession (voir infra, boucher battus à l’aide d’une planche à attendrir la viande), etc.
5. La capture de la victime, moment particulier de torture
La torture est un processus dynamique. Elle commence dès l’arrestation ou la privation de liberté des victimes, la capture elle-même constituant déjà parfois de la torture.
ð Au moment où elles tombent dans le piège de leurs bourreaux, les victimes sont généralement raillées, moquées, insultées.
ð Elles sont délibérément détenues dans des conditions précaires (insatisfaction des besoins de base, isolement total dans une cellule individuelle ou au contraire, surpeuplement de lieux de détention collective)
ð Elles ne sont généralement pas informées des raisons justifiant leur détention ni de sa durée pas plus qu’elles ne sont averties des intentions de leurs bourreaux à leur égard.
ð Les sévices physiques sont généralement particulièrement intenses dans les premiers moments de la détention.
Ces conditions ont pour effet rapide d’épuiser physiquement et psychologiquement les victimes et donc d’amoindrir leur résistance.
6. Clinique de la torture
« Depuis son arrestation, Pannonique avait de Dieu un besoin atroce. Elle avait faim de l’insulter jusqu’à plus soif. Si seulement elle avait pu tenir une présence supérieure pour responsable de cet enfer, elle aurait eu le réconfort de pouvoir la haïr de toutes ses forces et l’accabler des injures les plus violentes. Hélas, la réalité incontestable du camp était la négation de Dieu : l’existence de l’un entraînait inéluctablement l’inexistence de l’autre. On ne pouvait même plus y réfléchir : l’absence de Dieu était établie.
Il était insoutenable de n’avoir personne à qui adresser une telle haine. Il naissait de cet état une forme de folie. Haïr les hommes ? Cela n’avait pas de sens. L’humanité était ce grouillement disparate, cet absurde supermarché qui vendait n’importe quoi et son contraire. Haïr l’humanité revenait à haïr une encyclopédie universelle : il n’y avait pas de remède à cette exécration-là ». (« Acide sulfurique », Amélie Nothomb)
6.1. Un traumatisme complexe
La torture est un traumatisme complexe[22]. Judith Herman[23], professeur à la Harvard Medical School, définit les traumatismes complexes comme le résultat d’une victimisation chronique d’assujettissement à une personne ou à un groupe de personnes. Dans ces situations, la victime est généralement captive durant une longue période (mois ou années), sous le contrôle de l’auteur des actes traumatogènes et incapable de lui échapper.[24]
La torture est caractérisée par une multitude de traumatismes physiques et psychiques. La particularité des faits de traumatisme dans le cadre de la torture tient à l’intentionnalité. Les tortionnaires infligent des cruautés dans le but de produire intentionnellement un traumatisme. Les lois qui régissent l’humanité sont profanées et bafouées par les hommes eux-mêmes. La mort, la douleur, les blessures, les sévices et la souffrance sont provoqués, entretenus et exacerbés intentionnellement par des individus malveillants, parfois censés assurer protection ou porter secours[25] aux victimes. Les valeurs essentielles de l’existence telles que la paix, l’altruisme, la solidarité, l’amitié, l’éthique, le prix de la vie et la compréhensibilité du sens des choses, sont brusquement reniées. Le vécu traumatique suscite dès lors une interrogation sur l’Homme.
Par ailleurs, par l’anéantissement de l’identité de personnes singulières, la torture vise la destruction de l’ensemble d’un groupe communautaire et de ses valeurs.
6.2. Les conséquences psychologiques de la torture
La souffrance des victimes de torture constitue un tout où se mêlent séquelles physiques, douleurs, sentiments d’impuissance, honte, vécus d’étrangeté et d’irréalité, impression de ne plus être soi, etc. Sans compter que de nombreuses victimes, contraintes de quitter leur pays d’origine, sont confrontées aux multiples difficultés et souffrances liées à l’exil (perte du statut social, éclatement de la cellule familiale, installation précaire dans un pays d’accueil, insertion dans une nouvelle culture, etc.).
6.2.1. Les différents niveaux de conséquences de la torture, de l’individuel au social
Nous l’avons vu, la torture a pour but de détruire les victimes et d’anéantir leur groupe d’appartenance. Dès lors, il n’est donc pas étonnant qu’elle ait des effets au niveau individuel, familial et communautaire.
Au niveau individuel, le but de la torture est de produire intentionnellement un traumatisme. Les réactions qui dérivent de cette attaque contre la personnalité sont multiples et provoquent une altération des capacités cognitives, émotionnelles et comportementales (syndrome post-traumatique et symptômes associés, voir infra) ainsi qu’un changement de personnalité.
Au niveau familial, la torture engendre fréquemment des dysfonctionnements. En effet, le retrait affectif ou, à contrario, les attitudes de dépendance vis-à-vis des proches, l’irritabilité et l’agressivité, la perte de curiosité pour les activités professionnelles et de loisirs, la perte de motivation pour quoi que ce soit et l’apathie entravent le bon déroulement de la vie de famille. Par ailleurs, de nombreuses victimes sont amenées à s’exiler loin des leurs.
Au niveau social, la torture entraîne une baisse globale du fonctionnement psychosocial. Du fait même que les sévices sont intentionnels et sont perpétrés dans le cadre d’une relation humaine, la torture sape les fondements même des rapports interpersonnels que sont la confiance et le respect.
6.2.2. Les conséquences au niveau individuel
Les conséquences psychologiques de la torture peuvent être envisagées selon une dimension temporelle. En effet, nous pouvons distinguer la réaction initiale aiguë immédiate et post-immédiate observée les premiers temps (réaction de stress et queue de stress[26]) de la pathologie différée et séquellaire observée ultérieurement (syndrome psychotraumatique chronique). Ces effets de la torture perdurent parfois toute la vie
Pour ce qui relève des conséquences immédiates et post-immédiates, évoquons :
ð l’état confusionnel
ð les phénomènes des dissociation : absence de réaction émotionnelle, état de sidération (stupéfaction, incapacité de percevoir nettement, d’évaluer, de mémoriser, de raisonner et d’agir), déréalisations (sentiment bizarre d’être étranger au monde familier, impression de vivre un rêve éveillé ou un cauchemar), dépersonnalisation (impression de détachement, d’agir comme un robot et d’une façon tout à fait machinale, d’assister en spectateur à sa propre vie), incapacité à se rappeler d’aspects importants de son vécu, etc.
ð une alternance entre un émoussement (état d’impuissance, dépression, retrait affectif, etc.) et une hyperactivité émotionnelle (anxiété, colère, « rage aveugle »)
En ce qui concerne les conséquences à long terme, outre les signes cliniques du syndrome post-traumatique (reviviscences, évitements, activation neurovégétative persistante), les rescapés de la torture présentent fréquemment :
ð de l’asthénie : asthénie physique (fatigue morbide qui persiste malgré le repos, lassitude générale, épuisement au moindre effort physique), psychique (baisse des facultés mentales d’attention, d’acquisition mnésique et de concentration intellectuelle) et/ou sexuelle (émoussement du désir et du plaisir sexuel, impuissance, frigidité)
ð des troubles dépressifs (tristesse, désespoir, tendances suicidaires, etc.)
ð des troubles anxieux (crises d’angoisse, attaques de panique, anxiété diffuse)
ð des troubles somatiques, psychosomatiques et fonctionnels (maux de tête, trouble menstruel, dysfonctionnements sexuels, troubles gastriques, etc.). Ces symptômes relèvent autant des séquelles des traumatismes corporels que de l’expression des souffrances psychiques. La limite entre les conséquences physiques et psychologiques de la torture est incertaine dans la mesure où le corps est malmené précisément pour atteindre l’esprit. Il est le lieu même du contrôle et des agressions.
ð des troubles du comportement (crises de colère, propos ou actes agressifs, consommation abusive d’alcool ou de psychotropes, etc.)
ð des altérations de la personnalité. Il s’agit d’un changement de la personnalité du fait même de l’impact du trauma caractérisé par une altération de l’intérêt porté aux autres (attitude de dépendance et de détresse dans les relations affectives, perte d’intérêt pour la sexualité) et au monde extérieur (perte de curiosité pour les activités, réduction des activités, perte de motivation, monde extérieur perçu comme artificiel ou déréel, avenir appréhendé comme dénué de promesse) ainsi que par une attitude d’hypervigilance et d’alerte.
Détaillons l’impact de la torture au niveau individuel.
Dans leur revue de la littérature, F. Somnier et coll. (1992)[27] remarquent que les signes symptomatiques les plus fréquemment rencontrés sont, par ordre de fréquence décroissant, les troubles du sommeil et les cauchemars, les maux de tête, l’anxiété, la dépression, le retrait social, les troubles de la mémoire et de la concentration, la fatigue, l’agressivité et l’hypersensibilité.
I. Genefke et P. Vesti (1998)[28] mettent en évidence les douze symptômes principaux présentés par les patients reçus au Centre International de Recherche et de Réhabilitation pour les Victimes de Torture de Copenhague (IRCT) :
ð La labilité émotionnelle (irritabilité, hypervigilance, colère)
ð Les troubles du sommeil (cauchemars, difficulté d’endormissement)
ð Les troubles de la concentration et de la mémoire (amnésie psychogène)
ð L’évitement de pensées associées aux traumatismes
ð L’évitement d’activités ou de situations pouvant réactiver des souvenirs liés à la torture
ð Les difficultés à instaurer des relations interpersonnelles (sentiments de détachement ou d’étrangeté, émoussement effectif)
ð Le manque d’intérêt pour des activités significatives
ð Le sentiment de futur « bouché »
ð Agir ou avoir l’impression « comme si » la situation de torture se représentait (flash-back après l’exposition à des stimuli rappelant la torture)
ð Le changement de personnalité
ð La « culpabilité du survivant »[29]
ð L’anxiété
A. E. Goldfeld, R. F. Mollica, B. H. Pesavento et S. V. Faraone (1988) établissent à partir de l’analyse de nombreux articles, une liste de symptômes psychologiques communément associés à la torture. Cette liste comprend :
ð des symptômes cognitifs : confusion et désorientation, troubles de la mémoire, dyslexie, troubles de la concentration
ð des symptômes psychologiques : anxiété, dépression, agressivité et irritabilité, labilité émotionnelle, isolement et retrait social
ð des symptômes neurovégétatifs : perte d’énergie, insomnie, cauchemars, dysfonctions sexuelles.
F. Sironi (1999) note que les plaintes des personnes torturées relèvent d’un ordre binaire. « Il y a d’une part les symptômes « bruyants », caractérisés par le mouvement, l’agitation, l’explosion : l’irritabilité, l’agressivité, l’hallucination, les cauchemars, les réveils en sursaut, les cris dans la nuit, les insomnies, les frayeurs, les troubles psychosomatiques, les tremblements, les changements de personnalité, tout ceci aboutissant à une extériorisation, à un débordement des limites. D’autre part, il y a toute une série de symptômes qui peuvent être caractérisés par la fermeture, l’arrêt, le silence, la perte ou l’absence de mouvement : la tristesse, l’apragmatisme, la fatigue, la clinophilie[30], le besoin de s’isoler, les pleurs, la méfiance, les troubles de la concentration et de la mémoire, l’impossibilité de penser, les changements de personnalité allant vers la fermeture. [… ]. Quand elle présente une souffrance traumatique consécutive à la torture, une même personne peut être décrite des deux manières, en référence à deux catégories diamétralement opposées. On peut dire qu’en elle, il y a une partie qui est encore directement sous influence, et une autre qui lutte bruyamment et activement contre cette influence. Enfin sont également présents les signes spécifiques qui témoignent d’un accès « sauvage » à des connaissances cachées sur l’humain : la recherche systématique de l’intention de l’interlocuteur, les rêves prémonitoires, les coïncidences troublantes dans la vie de tous les jours, la perception à distances des événements, la découverte de dons nouveaux et l’appétence pour l’étrange et l’inexpliqué. »
F. Sironi distingue les signes relatifs à l’effraction, ceux relatifs à l’influence du tortionnaire intériorisé et ceux relatifs à l’accès à des connaissances cachées. Elle propose un regroupement des signes selon ces différentes catégories :
ð Effraction
- sursauts, cris, tremblements, peurs incontrôlées
- céphalées, atteinte de la sphère cutanée (démangeaisons, eczéma…), ulcère
- doute, étrangeté, isolement, souffrance liée au sentiment d’être différent des autres
- troubles de la mémoire et de la concentration
- cauchemars
- autoaccusation et culpabilité d’avoir une identité propre
- peur qu’on puisse lire sa pensée, peur d’être transparent et influencé
ð Influence du tortionnaire
- tristesse, apragmatisme, apathie, asthénie, clinophilie
- agressivité non contrôlée, sentiment de ne plus être maître de soi
- impossibilité de penser
- sommeil troublé et cauchemars (la nuit), et reviviscences traumatiques (le jour)
- hypertension artérielle, douleurs diffuses et changeantes, vertiges, nausées, chutes, « avoir un chat dans la gorge »
- changement de personnalité
ð Accès à des connaissances cachées
- recherche systématique de l’intention de l’interlocuteur
- rêves prémonitoires
- coïncidences troublantes dans la vie de tous les jours
- perception à distance des événements
- découverte de dons nouveaux
- appétence pour l’étrange et l’inexpliqué
5. Les bourreaux
« Je veux vous dire ceci : vous avez souffert mais cela ne vous rend pas meilleur que ceux qui vous ont fait souffrir. Ce sont des gens comme vous et moi. Le mal est en chacun de nous. » (« Murambi. Le livre des ossements », Boubacar Boris Diop)
Il serait confortable de croire que les bourreaux sont des monstres, des psychopathes, des sadiques ou des êtres pervertis par de mauvais traitements subis durant leur enfance. Ces hypothèses sont néanmoins inopérantes à expliquer pourquoi de nombreuses personnes d’une communauté affables et débonnaires en temps de paix, et pas uniquement quelques individus isolés, se métamorphosent en tortionnaires cruels et invétérés dans les contextes de conflit. Les victimes de la guerre en Bosnie le savent, elles qui ont parfois eu à souffrir des tortures infligées par de proches connaissances.
Si la personnalité ou l’histoire individuelle peut promouvoir des vocations de bourreaux, ces seuls éléments sont cependant nettement insuffisants à expliquer ce phénomène. Devenir bourreau résulte, en effet, d’une association complexe d’éléments individuels, sociaux, politiques et/ou culturels qui autorisent ou promeuvent la violence et la cruauté.
5.1. Les conflits communautaires, facteurs favorisant le phénomène de la torture
Toute société régule, codifie, fixe, voire légifère, l’accès aux biens, à la procréation (par le biais de la sexualité) et au pouvoir. Par exemple, on peut acquérir des biens en les acquittant à l’aide de monnaie, de troc ou de contre-dons mais on ne peut les voler ; on peut entretenir une relation sexuelle avec un partenaire répondant à des critères spécifiques[31] mais l’envisager dans tout autre cadre est interdit ; on peut accéder au pouvoir par des procédures établies[32] mais on ne peut l’usurper. Des règles, des lois, des procédures fixées ou implicites prescrivent et régissent également la circulation et la transmission des biens, des partenaires sexuels (et donc, des enfants) et du pouvoir. Par exemple, les objets ne peuvent être hérités que par les ayants droit et certains d’entre eux ne peuvent quitter le cercle de la communauté[33] ; dans de nombreuses sociétés, les jeunes femmes en âge de convoler doivent quitter leur famille pour s’unir à celle de leur promis ; le pouvoir se transmet de père en fils ou est octroyé à un successeur choisi selon des procédures sociales éprouvées.
Dans la majorité des conflits armés opposant clans, ethnies, nations, etc., les belligérants cherchent à renverser l’ordre social et à s’assujettir ce qui le fonde : les biens, la procréation/la sexualité et le pouvoir. Ils volent, pillent et s’approprient les biens de la communauté adverse. Ils violent, castrent et engrossent leurs ennemis. Ils prennent le pouvoir et dominent leurs adversaires en les réduisant à l’impuissance (siège prolongé des villes, famine des populations, mauvais traitements et torture, profanation des symboles culturels, etc.).
Dans la torture, l’emprise des tortionnaires et l’aliénation des victimes atteignent leur acmé. Néanmoins, les ingrédients qui la composent (douleurs et souffrances aiguës) et le buts qui la définissent (destruction de l’autre) sont présents à des degrés divers dans toutes les formes d’attaque guerrière.
La recrudescence de la violence de toute nature durant les périodes de conflit et de post-conflit sont favorisées notamment par :
ð l’effondrement généralisé de l’ordre public
ð la valorisation de comportements offensifs et la glorification des héros agressifs
ð les idéologies guerrières incitant à la destruction symbolique de l’ennemi. Dans une large mesure, les cruautés auxquelles se livrent les hommes ont pour origine des idéologies prônant la suprématie de leur communauté sur celle de l’ennemi ainsi que des craintes réelles ou supposées d’être menacé par ce dernier.
ð La puissance de contraindre autrui que confère l’usage d’une arme qu’elle quelle soit
ð l’impunité pour les auteurs de crimes
ð la consommation d’alcool et de drogue. Les produits psychotropes sont des facteurs désinhibants qui favorisent les passages à l’acte violent et notamment les agressions sexuelles et les faits de cruauté.
5.2. Obéissance et soumission
Toute société humaine repose sur des institutions fondées à des degrés divers sur l’autorité et sur la soumission à une hiérarchie (famille, école, armée, travail, etc.). L’homme a d’ailleurs une disposition naturelle à se soumettre à l’autorité se déchargeant ainsi de sa propre responsabilité, cette tendance l’emportant souvent sur l’éthique et la compassion.
Les travaux de Stanley Milgram[34] (1974) et de ses successeurs illustrent expérimentalement comment certains hommes peuvent devenir des bourreaux même sans aucune menace coercitive extérieure.
Dans le cadre d’une prétendue expérience scientifique sur la mémoire et l’apprentissage, des volontaires « naïfs » ont été chargés par une « autorité scientifique » de sanctionner les réponses erronées d’un « élève » par des chocs électriques d’intensité croissante. A chaque punitions, le « moniteur » entendait les réactions de l’ « élève », réactions corrélées à l’intensité des chocs : plaintes, cris de douleur, appels à l’aide et finalement, silence fatal. En réalité, le rôle de l’élève était tenu par un acteur professionnel et les chocs électriques n’étaient pas réellement délivrés. Dans cette expérience, les deux tiers des sujets se montrèrent « obéissants » allant même jusqu’au point d’infliger la douleur extrême.
Milgram s’est livré à des variantes de l’expérience initiale en modifiant divers éléments du dispositif expérimental. Lorsque les « moniteurs » ne pouvaient ni voir ni entendre leurs victimes, la majorité d’entre eux administrait des chocs allant jusqu’à des intensités létales. Lorsqu’ils étaient face à leur victime, le taux d’obéissance s’amenuisait fortement. Lorsqu’ils devaient la toucher pour la forcer à poser la main sur la plaque électrique délivrant les chocs, le nombre de moniteurs « obéissants » tombait encore. Lorsque les ordres étaient délivrés par une personne sans autorité scientifique reconnue, la soumission était nulle. Si les moniteurs n’infligeaient pas personnellement les chocs électriques, l’obéissance était presque totale. Si les élèves se liguaient et se rebellaient contre l’autorité, la plupart des moniteurs épousaient leurs revendications et cessaient d’obéir à l’instructeur. Si l’intensité des chocs était laissée à la discrétion du moniteur, presque tous infligeaient le voltage minimal. Lorsqu’ils n’étaient pas sous la surveillance directe du scientifique, beaucoup « trichaient » et envoyaient des chocs d’intensité moindre que celle exigée par le degré de l’expérience.
De nombreux individus ont donc obéi de façon aveugle à une autorité scientifique sans que celle-ci n’ait eu recours à une menace coercitive et cela alors même que leur action pouvait se révéler dommageable, voire mortelle, pour une personne contre laquelle ils n’éprouvaient à priori aucune antipathie. Pour expliquer ces résultats, Milgram invoque l’obéissance et la soumission à l’autorité reconnue comme légitime.
La situation expérimentale mise en scène par Milgram n’est pas sans analogie avec la torture. En effet, le moniteur obéit à des ordres délivrés par une autorité, sa victime est à sa merci et il est mandaté pour lui infliger des sévices douloureux. L’obéissance et la soumission à l’autorité semblent donc être des facteurs contributifs du phénomène tortionnaire.
Néanmoins, l’obéissance révélée par les expériences de Milgram est d’un type bien particulier. Léonardo Ancoma et Rosetta Pareyson[35] ont tenté de comprendre ce phénomène et ont reproduit une expérience similaire en modifiant le mobile officiel de l’expérimentation. Elle était présentée non plus comme une étude sur la mémoire mais sur la réaction des individus à la douleur. L’expérience terminée[36], les sujets étaient invités à remplir un questionnaire destiné à évaluer leur niveau de responsabilité dans les sévices infligés aux « élèves »..
Ancoma et Pareyson (1972) ont classé les sujets obéissants en deux groupes, quantitativement quasi-équivalents : l’un faisant preuve d’obéissance coopérative et le deuxième d’obéissance destructrice.
ð L’obéissance coopérative. Les sujets appartenant à cette catégorie ont obéi aux injonctions de l’expérimentateur en éprouvant de la compassion pour la victime et en manifestant une tension intérieure intense. Ils ont reconnu leur responsabilité personnelle dans les souffrances occasionnées aux élèves. L’utilité de l’expérience et la collaboration avec une autorité inspirant respect et confiance leur ont fait perdre tout sens critique. Leur conscience individuelle a été transférée au profit d’une autorité perçue comme légitime, juste et équitable. La confiance dont les sujets ont investi l’autorité semble avoir anesthésié momentanément leur personnalité et leurs valeurs morales ; personnalité et valeurs morales resurgissant spontanément lorsque l’autorité ne les soutient plus et les oblige ainsi à mesurer leur degré de responsabilité.
ð L’obéissance destructrice. Les sujets appartenant à ce groupe n’admettent pas leur responsabilité dans les sévices infligés. Ils motivent leurs actes, pervertissent intentionnellement la réalité et affirment qu’ils n’ont fait qu’obéir aux ordres[37]. Ils ne laissent apparaître aucun sentiment d’humanité à l’égard de l’élève et ne se montrent pas concernés par ses souffrances. Lorsqu’ils en prennent conscience, ils dévalorisent et déshumanisent la victime.
Bacry et Ternisien (1980)[38] proposent quatre points déterminant la propension de certains individus à commettre des actes abominables : l’obéissance à l’ordre, le déni de la réalité, la justification de l’acte et le refus de la responsabilité.
5.3. Bourreaux et représentations des victimes
Les résultats des expériences de Milgram, d’Ancoma et Pareyson confirment les déclarations habituellement faites par les tortionnaires pour assurer leur défense dans les procès dans lesquels ils sont impliqués. Le bourreau justifie ses actes et considère que celui qu’il torture est coupable, menaçant, nuisible ou indigne du genre humain.
Les individus qui se livrent à des atrocités ou qui exhortent autrui à en commettre ne conçoivent généralement pas leurs actes comme relevant de l’agression. Le plus souvent, ils minimisent, voire éludent leur responsabilité en tant qu’agresseur. En effet, ils argumentent leur brutalité en la parant d’élaborations et de conceptions culturelles qui dévoient l’idée de violence en tant qu’agression. Par exemple, les cruautés sont perçues comme un moyen de rétablir l’ordre moral, de chasser les « mauvais » et de permettre à la communauté (le clan, l’ethnie, le pays, etc.) de poursuivre son existence en paix. Dès lors, la meilleure défense étant l’attaque, l’idée prévaut qu’il vaut « mieux vaut leur faire ce qu’ils nous font ou nous feraient si nous les laissions faire ». La destruction de l’autre étant perçue comme le seul moyen de défendre sa communauté, on devient bourreau pour protéger les siens. On œuvre ainsi au nom de sa société, de l’armée, dans l’intérêt de la nation, etc. et les actes commis, y compris les plus atroces, paraissent parfaitement « acceptables » et justifiés.
Les tortionnaires ne sont cependant pas les seuls responsables des sévices qu’ils commettent. Les leaders politiques, religieux et militaires ainsi que les médias qui relayent les discours incitant à la haine jouent souvent un rôle fondamental. En effet, les cruautés infligées à une communauté sont généralement précédées d’une propagande agressive présentant ce groupe de personnes comme une menace (pour la sécurité lorsqu’une attaque guerrière est pressentie, économique, culturelles, religieuse, etc.)[39].
5.4. La fabrication des tortionnaires
Pour F. Sironi, « on ne naît pas tortionnaire, on le devient ; soit par une violente expérience de déculturation, soit par une initiation spécifique qui utilise des techniques traumatiques ». C’est le cas par exemple, de la formation de certaines unités spéciales de corps militaires et policiers dont les entraînements spécifiques sont particulièrement traumatogènes.
S’inspirant de la formation des tortionnaires grecs sous la dictature des colonels, Sironi décrit les 4 éléments autour desquels s’articule le processus d’initiation des tortionnaires:
ð La séparation totale avec le monde social ordinaire : isolement de la famille, interdiction de sortir de l’école militaire, etc.
ð La rupture avec les univers de référence des novices : abolition de tous les repères, nouvelles règles dont certaines à l’encontre de toute logique, etc.
ð La consécration d’une nouvelle identité au sein du nouveau groupe d’appartenance au cours d’une cérémonie officielle clôturant le processus d’initiation.
ð La création d’êtres nouveaux différents de ce qu’ils étaient avant leur initiation et de tous les autres, civils et militaires. Il leur était dit explicitement qu’ils étaient désormais à part et au-dessus des lois régissant le monde commun.
Cette transformation de l’identité comporte quatre étapes :
ð Les préliminaires : les instructeurs mettaient en valeur l’identité initiale des candidats en mobilisant leur idéal de justice, de vérité et d’absolu et construisaient la conception qu’ils étaient porteurs des attributs d’une « virilité idéale » (fierté, dureté et obéissance).
ð La déconstruction de l’identité initiale : les instructeurs devenaient soudain brutaux et imprévisibles, brisant ainsi les repères habituels. Les recrues étaient soumises à des épreuves dures et humiliantes visant à déconstruire l’identité initiale (par exemple, lécher les bottes de leurs instructeurs) et devaient accomplir des actes absurdes (par exemple, brosser le parquet avec une brosse à dent).
ð L’affiliation à un nouveau groupe d’appartenance uni par le secret, constituait l’étape suivante. Les humiliations cessaient soudainement et la force, le courage et l’endurance étaient à nouveau valorisés.
ð La consécration publique de l’affiliation concluait le processus de formation. Les candidats avaient désormais acquis une nouvelle identité et étaient considérés supérieurs aux non-initiés. L’initié et ses instructeurs étaient dorénavant liés par un secret.
Le cas de l’ex-Yougoslavie
« On trouve le pire partout » ( « Automne allemand »,Stig Dagerman)
1. La guerre en Bosnie
Pour d’aucuns, l’origine de la guerre en Bosnie remonte à 1389 lorsque l’armée serbe perdit la bataille face aux envahisseurs turcs ottomans. Les quatre siècles d’occupation turque qui s’en suivirent générèrent une hostilité latente à l’encontre des Musulmans.
La mort de Tito en 1981, le déclin économique qui suivit et la résurgence des sentiments nationalistes longtemps jugulés par le pouvoir central constituent les plus récents déclencheurs expliquant le conflit des années ‘90.
En 1989, lors d’une procession commémorant le 600ième anniversaire de la défaite de la Grande Serbie , le dirigeant serbe Slobodan Milosevic déclara : « Nous ne pouvons exclure l’idée de faire usage de la violence pour reprendre possession des terres serbes. ».
En 1991, la montée en puissance de Milosevic et du nationalisme serbe déclenchèrent la sécession de la Slovénie et de la Croatie. La Bosnie-Herzégovine tint elle aussi un référendum ; la majorité des Musulmans et des Croates se prononcèrent pour l’indépendance.
Ces velléités de séparatisme menaçant le projet de Grande Serbie, Milosevic battit campagne pour persuader les Serbes de Bosnie qu’ils étaient menacés par les fascistes croates[40] et par le jihad musulman. Il parvint ainsi à dresser les Serbes contre leurs voisins croates et musulmans.
Le 6 avril 1992, les nationalistes serbes lancèrent le premier assaut contre le nouvel Etat bosniaque.
Les quatre années de guerre qui suivirent tuèrent 27 719 personnes, essentiellement des civils innocents et vidèrent villes et villages de leur population.
Fin 1995, après de longues négociations, des accords de paix furent signés à Paris.
2. L’épuration ethnique
Le terme « nettoyage » ou « épuration ethnique », traduction littérale du serbo-corate « etničko čišćenje »[41], désigne l’élimination par l’émigration forcée, la déportation, voire le génocide, d’un groupe ethnique pour des raisons idéologiques et/ou stratégiques. L’origine de l’expression remonte à 1941 lorsqu’un journal rapporte les propos d’un ultra-nationaliste croate, Viktor Gutić : « Chaque Croate qui sympathise avec nos ennemis n’est non seulement pas un bon Croate mais est également un adversaire et opposant du projet planifié et calculé du nettoyage des éléments indésirables de notre Croatie ». Ce formule est réapparue dans les années 1990 lors des guerres de Yougoslavie.
La purification ethnique se donne donc explicitement pour but l’élimination d’une communauté par des méthodes qui incluent le meurtre, la terreur, la torture et la destruction.
La violence en ex-Yougoslavie visait délibérément à éradiquer les valeurs culturelles et religieuses des habitants de certaines régions afin de s’assurer que les survivants de l’épuration ne se risqueraient jamais à revenir sur le territoire. La mise en place dès la fin du mois de mai 1992 de camps de concentration tels que Omarska et Keraterm, près de Prijedor dans la Krajina bosniaque, ainsi que des camps de transit comme Manjaca[42] et Trnopolje, démontrent d’ailleurs que le nettoyage ethnique était planifié.
3. Les camps de concentration en Bosnie
Durant l’été de l’année 1992[43], entre la fin mai et la fin août, les autorités serbes de la Krajina dans le Nord de la Bosnie ont détenu arbitrairement des milliers de non-Serbes originaires de la région (principalement des Musulmans et des Croates) dans les camps de concentration d’Omarska et de Keraterm ainsi que dans les camps de transit de Manjaca et de Trnopolje.
Des informations faisant état de l’existence de camps de concentration dirigés par des Serbes se mirent à circuler. Des rapports de viols et de meurtres à grande échelle furent ensuite confirmés. Fin août, sous les pressions internationales consécutives à la découverte et à la divulgation par les médias étrangers des horreurs perpétrées dans les camps, les autorités serbes décident de fermer Omarska, Keraterm et Trnopolje. Les activités se poursuivront à Manjaca jusqu’à la fin de l’année 1992.
Fin 1992, plus de 70 % de la Bosnie-Herzégovine était occupée par les forces serbes et plus d’un million de Musulmans et de Croates avaient fui le pays.
3.1. Les détenus
La majorité des détenus du camp d’Omarska était des hommes adultes en âge de porter les armes (des civils mais des combattants potentiels aux yeux des Serbes) ainsi que des personnalités politiques, sociales et intellectuelles, musulmanes et croates de Bosnie. Une petite quarantaine de femmes y étaient également prisonnières. Il ne fait aucun doute qu’un grand nombre de personnes a séjourné à Omarska et que plusieurs milliers y ont perdu la vie.
Dans le camp de Keraterm, les prisonniers étaient pour la plupart des hommes en âge de porter les armes. Plusieurs milliers de personnes y ont été détenues.
A Trnopolje, la population était principalement constituée de femmes, d’enfants et de personnes âgées ainsi que de quelques hommes en âge d’arme. Le camp de Trnopolje était le point de départ de la plupart des convois qui déportaient par la force hors de Prijedor les Musulmans, les Croates et d’autres non-Serbes de Bosnie.
A Manjaca se trouvaient retenus des hommes en âge de porter des armes. Un petit groupe de femmes aurait également été séquestré. Plusieurs milliers de personnes y furent retenues prisonnières. Des détenus étaient continuellement transférés de Manjaca vers les camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje.
3.2. Les sites de torture
Le camp d’Omarska était aménagé dans les installations d’un ancien site minier établi dans un village à une vingtaine de kilomètres de Prijedor.
Le camp de Keraterm était établi dans une usine de céramique à quelques kilomètres à peine du centre de Prijedor.
Celui de Trnopolje était situé dans un village à une dizaine de kilomètres de Prijedor. En réalité, le village entouré de barbelés constituait le camp. Des détenus étaient constamment déplacés vers les camps d’Omarska, de Keraterm et de Manjaca.
Le camp de Manjaca était une base militaire de l’armée yougoslave situé au sommet d’une colline au sud de Banja Luka. Des détenus étaient continuellement transférés vers les camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje. Lorsque le camp d’Omarska fût fermé fin août 1992, de nombreux détenus y furent transférés.
3.3. Les sévices
Les conditions de vie étaient abominables dans les quatre camps. Les détenus y étaient traités de façon ignoble et nombre d’entre eux succombaient aux traitements inhumains dont ils étaient l’objet.
Ils étaient séquestrés dans des locaux bondés. Par exemple, dans les camps d’Omarska et de Keraterm, le surpeuplement des lieux de détention ne permettaient pas aux détenus de s’asseoir et à fortiori, de s’allonger.
Ils étaient insuffisamment nourris pour couvrir leurs besoins alimentaires et étaient affamés. A Omarska, ils ne recevaient qu’une ration par jour et n’avaient que 2 à 3 minutes pour avaler leur maigre pitance.
Les équipements sanitaires étaient très insuffisants, voire inexistants.
L’eau était dispensée parcimonieusement et à Omarska, elle était souvent impropre à la consommation.
Les détenus n’avaient ni vêtements de rechange, ni literie. A Manjaca où les prisonniers restèrent durant l’hiver, ils étaient frigorifiés.
A quelques rares exceptions, ils ne bénéficiaient d’aucun soins médicaux.
Les mauvais traitements physiques et psychologiques y étaient très fréquents causant la mort de milliers de personnes. Les interrogatoires, les tortures, les violences sexuelles et les exécutions étaient quotidiens. A Trnopolje, le personnel du camp, constitué de membres de la police et de l’armée ainsi que des personnes externes au camp, notamment des militaires de la région, violaient les femmes détenues.
4. Les témoignages
4.1. Les tortures
Ils étaient à peine sortis de l’enfance. Ils avaient 16, 17, 18, 19 ans. Pour la plupart, ils ont été libérés à la fin août 1992 des camps de concentration d’Omarska, de Keraterm, de Trnopolje et de Manjaca où ils étaient séquestrés depuis plusieurs semaines, voire depuis plusieurs mois. Je les ai rencontrés dans le camp de réfugiés de Zapruđje à Zagreb peu après leur libération. Ils y séjournaient brièvement avant d’être exilés vers un pays apte à assurer leur sécurité. Je leur ai promis de relayer le récit de leurs souffrances. La plupart d’entre eux ont fait rapport des actes de torture qu’ils ont subis à la Cour Internationale de Justice et au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie. Qu’ils aient témoigné ne me délivre cependant pas de ma promesse. En effet, le devoir de mémoire incombe à chacun d’entre nous.
q La capture des victimes signe le début du processus de torture. Les tortionnaires instaurent immédiatement le régime de la terreur et initient le processus de déshumanisation en les arrachant à leur foyer et en les dépouillant de leurs objets personnels, notamment de leurs papiers d’identité.
« Ils ont pris la maison et ils m’ont emmené au camp de concentration de Omarska. »
« Quand nous avons fait le voyage, les Tchetniks disaient quand un enfant pleurait : « donnez-le nous, on va le tuer ». Les garçons étaient battus. »
« Quand les Serbes ont attaqué la première fois, je me suis réfugié dans la montagne. Nous étions plusieurs du village. On dormait dans les arbres et on devait s’accrocher. Les personnes de tête et de queue se relayaient parce que c’était eux qui avaient le plus froid. En 8 jours, j’ai dormi 10 heures. Je ne pensais pas que c’était possible. Les derniers jours, on n’avait plus rien à manger. Pendant 2 jours et demi, je n’ai rien mangé du tout. Les enfants pleuraient. On n’en pouvait plus. Alors, on s’est rendu. Les Serbes nous ont tout pris. Ils ont pris notre argent, nos papiers, nos bijoux, tout. Et puis, ils nous ont amené au camp (Keraterm).»
q La perte de confiance en l’être humain résulte du fait que les cruautés sont subies dans le cadre de relations interpersonnelles et qu’elles procèdent de l’intentionnalité de nuire gravement. L’effondrement de la foi en un être humain « juste et bon » est d’autant plus radical que la plupart des victimes connaissait leurs tortionnaires. Elles les avaient fréquentés souvent durant de nombreuses années et les croyaient dignes de confiance. Avant les années ‘90, rien ne les avait incité à s’en méfier.
« Je connaissais tous les gardiens d’Omarska. C’était des voisins. Il y avait un gardien qui était bien. Il essayait de m’apporter à manger et il n’a jamais tué personne. Il essayait d’aider les gens comme il pouvait. » (Omarska)
« Du côté serbe, il y avait des soldats de mon âge avec qui j’allais à l’école. » (Trnopolje)
« Nos voisins les plus proches étaient serbes et ce sont eux qui les premiers nous ont battus. » (Omarska)
Une déstructuration identitaire résulte de la torture.
Selon Sironi, lorsque les victimes ont le sentiment de n’être plus qu’un animal ou un objet, c’est parce qu’elles ont été réduites à leur « part universelle » et privées de leur singularité et de leurs affiliations. La « part collective », celle qui les rattache à un groupe, est désarticulée du « singulier ». C’est le groupe d’appartenance qui est ainsi atteint au travers des traumatismes infligés par les bourreaux.
« Nous mangions au milieu des cadavres. On devient inhumain. On devient des bêtes. » (Keraterm)
« Ils se comportaient comme des loups et nous, on était les agneaux qu’ils déchiraient. Ce sont eux qui se comportaient comme des bêtes. » (Omarska)
Les victimes se sentent différentes après la torture de ce qu’elles étaient avant et différentes des autres personnes.
« Je m’appelle J. du camp de concentration. » (Trnopolje). Plutôt que d’être privé d’identité, J., un adolescent de 16 ans, tente de s’en attribuer une en s’affiliant à un nouveau groupe d’appartenance, celui des camps.
q Le dépouillement des biens et des objets personnels est un des premiers moyens de déshumaniser les victimes et de leur ôter leur sentiment d’individualité. Le but de ces actes, outre de s’approprier leurs richesses, est d’annihiler leur altérité et de les priver de leurs repères identitaires.
« Lors du transfert du convoi, sur un pont, les Serbes nous ont obligé à jeter tout ce qu’on portait. Ils avaient mis des filets en aval de la rivière pour tout récupérer. Il y avait une femme, elle a jeté son bébé qu’elle avait dans les bras et elle s’est jetée après lui. » (transfert vers le camp de Trnopolje)
q L’isolement de l’univers de référence dessaisit délibérément les victimes de leurs repères habituels, sans compter la souffrance dans laquelle les plonge la rupture d’avec leur famille.
La mère de deux adolescents incarcérés dans des camps de concentration : « J’ai essayé d’apporter de la nourriture à mon fils mais on ne m’a jamais laissé approcher du camp. À Trnopolje, où mon autre fils était, c’était mieux parce que parce que je pouvais lui apporter de la nourriture. Il pouvait sortir dans la cour. C’est le hasard qui fait que lui a été à Trnopolje et l’autre à Omarska. »
q Les douleurs physiques intenses désagrègent le sentiment d’intégrité corporelle. En effet, le corps constitue le fondement même du sentiment d’exister et fait partie intégrante de l’identité. En torturant le corps, le but des tortionnaires est donc aussi de détruire l’esprit de la victime et de déconstruire son identité. Le corps devient le siège du pouvoir des bourreaux et la douleur, le moyen par lequel l’instaurer. Les suppliciés sont ainsi « dépossédés » de leur corps, le contrôle des tortionnaires s’y exerçant constamment.
Si elle constituent parfois une « punition » sanctionnant un comportement jugé inacceptable par les tortionnaires, les brutalités sont souvent infligées sans raison aucune. Les victimes sont ainsi privées du contrôle et de l’influence qu’elles exercent habituellement sur leur environnement. En effet, même si elles respectent scrupuleusement les codes aberrants et contraignants de l’univers concentrationnaire, elles sont impuissantes à faire cesser, à éviter, à écourter et à réduire l’intensité des sévices. L’inexorabilité, l’imprévisibilité et l’incontrôlabilité des tortures engendrent un déficit cognitif se traduisant par une difficulté à établir des correspondances entre ses actions et les événements.
De plus, les cruautés, parce qu’elles sont infligées intentionnellement par des êtres humains, détruisent la confiance que les victimes accordent à l’ « Homme ».
« Les gens étaient battus, les femmes aussi. » (Omarska)
« On était battu avec des barres de fer. » (Omarska)
« Les enfants aussi étaient battus. » (Trnopolje)
« On nous battait souvent avec des battes de base-ball sur la tête. » (Omarska)
« C’est I., le champion d’Europe de karaté qui m’a battu. » (Trnopolje)
« Les Serbes tapaient sur le sexe des prisonniers. » (Trnpolje)
Les transferts après la capture des prisonniers ou entre les différents lieux de détention sont des moments privilégiés de violence physique.
« Les Serbes sont arrivés et ils nous ont amené au camp de Prijedor (à Keraterm), une usine qui a été transformée pour l’occasion. On nous a dit que c’était en vue d’un interrogatoire. À 22 h 30, on est venu nous chercher et on nous a emmenés au camp d’Omarska. On est arrivé à Omarska à six heures du matin. Omarska, ce n’est pas loin de Prijedor, c’est seulement à 16 km mais le bus s’est arrêté souvent. Pendant les arrêts, des Serbes montaient dans le bus pour nous attaquer, nous frapper, nous battre » (transfert de Keraterm à Omarska)
« On est parti d’Omarska à 5 heures de l’après-midi et on est arrivé à Manjaca à 9 heures du matin. On a passé la nuit dans le bus. Les Serbes nous ont tous fait mettre d’un côté du bus. On était 80 prisonniers, tous d’un seul côté du bus. Et puis, ils nous ont marché dessus et ils nous ont battus. Plusieurs sont morts dans le courant de cette nuit. On n’avait pas le droit d’ouvrir les fenêtres. Nous manquions d’air. On n’a pas eu d’eau. Ils nous ont transféré à Manjaca parce qu’une équipe de télévision, d’Angleterre, je crois, venait dans le camp, à Omarska. Alors, ils nous ont transféré pour cacher les horreurs. Il n’y a qu’une centaine de prisonniers qui sont restés à Omarska. » (transfert d’Omarska à Manjaca)
« On m’a cassé un doigt mais la douleur physique, c’est la moindre chose. »
« Il y avait des personnes qui étaient maltraitées durant deux jours et deux nuits avant d’être exécutées au pistolet. » (Omarska)
« Un jour, nous avons dû rester sous le soleil tapant de cet été. Et cet été, il a fait particulièrement chaud. On a donc du rester sous le soleil, les bras levés, les mains derrière la tête. Quand un de nous lâchait, il était abattu. » (Keraterm)
De nombreux détenus des camps de Bosnie ont succombé à leurs blessures. Pour beaucoup de survivants, ces brutalités physiques ont entraîné des handicaps et des douleurs à long terme. Infirmités et souffrance perpétuent ainsi l’acte de torture longtemps après les sévices.
q Les mutilations de parties saines du corps poursuivent les mêmes buts que les douleurs physiques. Cependant, outre le bon fonctionnement de son organisme et sa forme physique, les victimes perdent également et définitivement une partie d’elle-même. Si elle survit et si l’amputation est visible, elle aura à supporter sa vie durant les regards compatissants ou suspicieux de ses concitoyens. Les mutilations exercées sur une personne sont aussi un moyen redoutable de provoquer l’effroi de ses co-détenus.
« Ils nous ont forcé de nous mordre, de nous arracher les testicules avec les dents. » (Omarska)
q Contraindre les détenus à réaliser des actes absurdes autant qu’inattendus et douloureux est un moyen d’entraver leurs processus de pensée. En effet, toute recherche d’un sens se solderait inévitablement par un échec. La prévisibilité du monde et l’accès au sens des choses en sont profondément altérés.
« Nous avons dû pousser des camions avec nos têtes, les mains liées dans le dos et on devait les retenir avec nos dents. On a dû faire ça pendant six kilomètres. Si quelqu’un tombait, il recevait des coups de pieds. Après ça, nos têtes, nos bouches, tout ça, c’était explosé. Quand on est sorti du camp, on a fait des photos. Regardez (il me montre une photo), vous voyez, on ne me reconnaît même pas et ça, c’était 3 jours après que j’ai été libéré. Ma tête avait doublé » (Trnopolje).
q Tout comme les douleurs et les mutilations, les privations délitent l’intégrité corporelle. Elles provoquent l’affaiblissement du corps, donc de la résistance, et entraînent la mort d’un grand nombre de détenus. De plus, ces restrictions indignes et dégradantes désagrègent le sentiment des victimes de faire partie du genre humain en les rabaissant à moins que du bétail.
ð L’insuffisance de nourriture
« À Trnopolje, au début, il n’y avait rien à manger. » (Trnopolje)
« Pour tout le camp, nous étions plus ou moins 1500 et les Serbes commandaient 800 portions (de nourriture). Malgré que les dames qui s’occupaient de la distribution essayaient de partager au mieux, il y avait toujours 300 personnes qui n’avaient rien du tout à manger. Sur sept jours, il y avait trois jours où on n’avait strictement rien à manger. Et quand il y avait à manger, c’était un repas par jour constitué d’un petit morceau de pain et de cinq à six cuillerées. » (Keraterm)
« Arrivés dans le camp de Manjaca, nous avons subi un examen médical […]. On n’a rien eu à manger de la journée. Dès le lendemain, nous avons reçu à manger mais seulement une tranche de pain très fine et ça pour six personnes. Ca a duré comme ça pendant 15 jours. Puis, la Croix-Rouge s’est occupée de la nourriture. Elle apportait des médicaments. » (Manjaca)
« J’ai perdu 20 kilos dans les camps en deux mois et demi. D’autres ont perdu plus. Un ami a perdu 36 kilos. » (Keraterm).
« Pendant les deux mois et demis de camp, j’ai perdu 48 kilos. J’avais 108 kilos et j’en ai maintenant 60. » (Keraterm et Trnoploje)
« À Manjaca, on devait travailler. […]. Quand on sortait travailler, on mangeait du maïs sec dans les champs et de l’herbe. Après, on n’a même plus pu manger de l’herbe parce que tout était miné. »
La satisfaction des besoins primaires (alimentation, miction, défécation, etc.), outre le fait qu’elle est généralement limitée à l’extrême, s’assortit souvent d’humiliations et de brutalités. « Les trois premiers jours, on n’a rien reçu à manger. Ensuite, on a reçu par jour 1/8 de pain pour toute une journée. Chaque fois qu’on se rendait à la cuisine pour manger, un policier Serbe, posté à l’entrée, nous matraquait. » (Omarska)
ð La carence d’hygiène
« Il n’y avait pas de toilette mais un endroit un peu à l’écart. On devait faire la file deux par deux. Quand on commençait à uriner, ils nous tapaient dans le dos. Ça avait pour effet immédiat qu’on arrêtait d’uriner. » (Omarska)
« Je suis resté là deux mois sans me laver aucune fois et sans changer de vêtements du tout. » (Keraterm)
« Arrivés dans le camp de Manjaca, nous avons subi un examen médical. Nous étions tout nus et noir de crasse. » (Manjaca venant d’Omarska)
ð L’insuffisance de repos
« Tout le temps, des gens s’évanouissaient. » (Omarska)
« J’avais un sommeil de lapin. On faisait attention à chaque bruit. On était allongé comme des sardines tellement il y avait du monde. Je dormais sous la peur. On s’endormait très difficilement. On se réveillait à chaque bruit, on attendait qu’on vienne nous prendre. Je ne rêvais pas. On n’avait pas de quoi rêver à cause de la peur. » (Omarska)
ð Le manque de place
« Ils nous ont amenés au camp. C’était un hangar de 250 m² . Nous étions 500 dans cette pièce. » (Keraterm)
« Durant deux nuits, on a dormi sur le ciment. Après deux jours, on nous a amenés pour un interrogatoire et on a été transférés dans des espèces de baraque. Moi, je dormais dans une armoire en fer parce qu’il n’y avait pas de lit. » (Omarska)
« Dans le camp de concentration, on ne pouvait pas dormir couché par manque de place. On était cent dans une pièce de cents mètres carrés. Nos dormions assis. » (Omarska)
ð L’absence de soins médicaux
« Il y a eu des maladies : la dysenterie. Il n’y avait pas de médicaments, pas de médecins. » (Omarska)
« Cet été, il y a eu beaucoup de problèmes de dysenterie et j’ai eu une diarrhée importante. » (Trnopolje)
« Il y a eu des poux et on n’arrivait pas à se débarrasser de ça. » (Omarska)
q Les détenus sont parfois contraints aux travaux forcés ou chargés de tâches risquées. Ils représentent en effet une main d’œuvre gratuite et « renouvelable ». En outre, peiner pour améliorer le bien-être de ses tortionnaires ou risquer sa vie pour les protéger constitue un affront manifeste.
« À Manjaca, on devait travailler. On a dû reconstruire l’église, mettre l’eau dans les maisons, couper du bois. »
« On avait besoin de moi pour enlever les mines dans les champs. Je marchais comme avant-garde des soldats serbes. »
q Les dévalorisations et humiliations brisent les sentiments de valeur personnelle et de dignité humaine en détruisant l’image que les personnes s’étaient forgées d’elles-mêmes.
« Quand il y avait un bataillon de Serbes de l’armée fédérale qui passait près du camp, les prisonniers devaient donner une espèce de représentation comme au cirque. On étaient obligés de se gifler, de se battre, etc. Et ils nous applaudissaient… Ils applaudissaient très fort…». (Keraterm)
En marquant leur victime de symboles honteux du passé, les tortionnaires se vengent de l’histoire tout en raillant leurs victimes impuissantes. « Ils gravaient des U[44] sur le dos et le bras des prisonniers. » (Trnpolje) .
En traitant les détenus comme des animaux ou comme des objets, ils leur renvoie une image de sous-homme. « On nous donnait notre bain avec des tuyaux de pompiers. » (Omarska)
Certains sévices humiliants sont inspirés par les spécificités identitaires des victimes. Symboliquement, c’est une manière de retourner contre elles-mêmes ce dont elles ont pu se prévaloir dans un passé plus glorieux « Un homme a été battu avec une planche dans laquelle il y avait des clous, le genre de planche avec laquelle on attendrit la viande. L’homme à qui on a fait ça était boucher. Ils l’ont battu en se moquant de lui. Ils lui disaient en rigolant qu’ils allaient l’attendrir. Les plaies se sont infectées et puis, il y a eu des vers dedans. C’était horrible. Ca puait. Il souffrait le martyre. Un jour, il est parti avec une centaine de cadavres de personnes exécutées et une cinquantaine de blessés et on ne l’a plus jamais revu. » (Keraterm)
q La transgression forcée de valeurs et de tabous personnels est souvent réalisées par des techniques de choix impossible. Les victimes sont poussées à trahir, à maltraiter ou à tuer leurs compagnons pour ne pas être elles-mêmes brutalisées ou massacrées. Commettre des actes aussi ignobles les réduit à un état de dépendance absolue vis-à-vis des bourreaux et à une impuissance extrême tout autant factuelle que psychologique. Cela provoque une détresse incommensurable et les condamne à une culpabilité éternelle ainsi qu’à un profond dégoût d’elles-mêmes.
« Les Serbes nous obligeaient de nous battre. On devait se battre entre nous, entre prisonniers, entre amis… Si on ne se battait pas assez fort et que les Serbes s’en apercevaient ils disaient : « Tu appelles ça te battre ? ». Et alors, c’était eux qui nous battaient.» (Keraterm)
« Les Serbes nous battaient mais en principe, on était obligé de se frapper les uns les autres, entre prisonniers. » (Trnopolje)
q La transgression forcée de valeurs et de tabous culturels poursuit un processus de déculturation et de désaffiliation des groupes d’appartenance.
ð La transgression de l’axe dedans (corps de la victime)-dehors notamment par l’ingestion forcée de substances impropres à la consommation
« Un jour, ils ont vaporisé le pain avec de l’anti-mouche et il nous ont obligé à manger. Ça brûlait horriblement. » (Trnopolje)
« Parfois, les Serbes urinaient dans notre nourriture. Parfois aussi ils mettaient des rats et des souris. » (Omarska)
« Il m’a obligé à boire de l’huile de moteur et je suis tombé dans le coma ». (Omarska)
ð Des violences sexuelles et de la transgression des tabous sexuels résulte la souillure des zones corporelles de contact et d’échange intime. Cette souillure provoquant une humiliation extrême concourt à la déstructuration identitaire.
De plus, avoir l’impression d’être complice d’une situation ambiguë où agressivité et pulsions s’entremêlent cause généralement une souffrance intense.
Forcer les victimes à se livrer à des rapports sexuels prohibés par la culture ou la religion participe également du processus de désaffiliation et de déculturation.
Etre contraint à avoir des relations sexuelles entre eux engendre chez les détenus du dégoût ainsi que des sentiments de honte, d’humiliation et d’impuissance.
« Les Serbes obligeaient les prisonniers bosniaques à se faire des violences sexuelles entre eux. » (Keraterm)
« Les violences sexuelles étaient rares mais quand elles avaient lieu, on était obligé par les Serbes de faire ça entre nous. On est musulman, vous comprenez ? C’est ça qui les amusait, c’est que c’était des musulmans entre eux, obligés. » (Omarska)
« On nous obligeait à avoir des rapports sodomiques entre nous et les Serbes assistaient au spectacle. » (Omarska)
« Il y avait dans une autre pièce une vingtaine de femmes, toute musulmanes, incarcérées. Elles venaient de Prijedor. Elles étaient violées… » (Omarska)
« Il y avait des femmes sur qui tous les Serbes passaient. » (Omarska)
ð La transgression de valeurs d’appartenance à l’espèce humaine
« Nous mangions au milieu des cadavres. On devient inhumain. On devient des bêtes. » (Keraterm)
q La confrontation constante au danger de mort crée un état interne d’urgence permanente faisant redouter de voir arriver son propre tour.
Nous l’avons vu, la mort peut être la conséquence des brutalités physiques ou des privations diverses. Elle peut également résulter de l’exécution sauvage improvisée (notamment, favorisée par la consommation d’alcool) ou de l’élimination préméditée d’un « excès » de détenus.
« Les Serbes buvaient. Ils avaient toujours avec eux de l’eau de vie, du cognac ou de la bière. Ils vendaient d’ailleurs de l’alcool et de la nourriture aux prisonniers qui en avaient les moyens. Ils étaient toujours ivres. Ils s’amusaient à tirer n’importe où, ils tiraient les pigeons. Tuer, c’était pour eux comme allumer une cigarette et la fumée d’une cigarette, c’était plus important pour eux qu’une vie humaine. Il y en avait qui n’étaient pas ivres et ils tuaient quand même. » (Omarska)
« Les Serbes buvaient énormément. Ils étaient toujours ivres. C’est quand ils étaient complètement ivres qu’ils faisaient le plus d’atrocités. C’est surtout l’eau de vie qu’ils buvaient. (Keraterm)
« Ils tuaient quand ils avaient bu. » (Trnopolje)
« Ça a commencé à se savoir que dans le camp, il y avait beaucoup d’horreur. Il y a eu de nouveaux arrivants. On a libéré une salle pour eux et pendant trois jours, nous, les autres prisonniers, on n’a pas pu sortir des pièces où nous étions détenus. On est resté enfermé dans le hangar. Nous entendions des coups de feu, les mitraillettes et les cris des blessés. En trois jours, il y a eu à peu près 400 exécutions. » (Keraterm)
La confrontation à l’exécution, à l’agonie ou aux tortures des autres détenus qui leur sont infligées provoque une grande détresse mentale.
« Dans toutes ces horreurs, ce qui m’a le plus marqué, c’est un prisonnier, un Musulman, il a été obligé par un garde Serbe d’arracher les testicules d’un autre prisonnier, un Musulman lui aussi. Il a du arracher les testicules de son ami avec ses dents. Parce que ces deux hommes, c’étaient des amis, ils vivaient dans le même village. Ils faisaient tous les deux du karaté. Avant la guerre, ils étaient dans le même club de karaté. Un Serbe avait une main sur la bouche de l’homme à qui on arrachait les couilles pour l’empêcher de crier. Un autre garde avait un couteau sur l’œil de celui qui devait arracher. Il disait à cet homme que s’il criait, il lui sortirait son oeil. Et vous savez, le garde serbe qui a obligé les hommes à se faire ça, il connaissait les deux Musulmans. Il venait du même village qu’eux. Le Serbe, en fait, c’était le patron du café du club de karaté. Après, quand c’était fini, l’homme est mort d’une hémorragie. Et nous, on a vu ça » (Omarska)
« J’avais un ami qui venait de Kljuc. Ils ont brûlé sa sœur vivante après avoir l’avoir aspergé de pétrole et le frère a été obligé de regarder. » (Omarska)
« La première nuit, les Serbes sont arrivés dans la salle et ont tiré dans le tas. Il y avait des morts et des blessés. Les morts, ça va encore, on finit par s’habituer mais les blessés… Les blessés, ils crient toute la nuit, ils gémissent… » (Keraterm)
« Il y a une fête serbe où le feu est à l’honneur. Quand il y a eu cette fête, ils ont allumé un grand feu avec des pneus et ils ont jeté dedans un homme vivant. » (Omarska)
« Les Serbes sortaient (du hangar) plus au moins trois personnes par jour et les abattaient. Puis, ça a augmenté et c’est devenu quasiment 30 personnes par jour. On se demandait « A qui le tour aujourd’hui? ». Chaque jour, on s’attendait à mourir. Parfois, je pensais même que ce serait une bonne chose. Au moins, ce serait fini. Je me disais que finalement ceux qui étaient morts, ils étaient tranquilles… C’était surtout le soir qu’avaient lieu les exécutions. Les cadavres restaient là, devant le hangar, et on les voyait le lendemain. Dans l’après-midi, ils désignaient un prisonnier, ils en choisissaient un parmi nous qui devait mettre tous les cadavres dans le camion. Les blessés devaient monter aussi dans le camion. Puis, le camion partait et on ne revoyait ni les blessés ni le prisonnier qui avait mis les cadavres dans le camion. » (Keraterm)
« Chaque nuit, ils tuaient des gens et en amenaient de nouveaux. J’ai vu des cadavres. J’ai vu une femme qui avait sauté sur une bombe. » (Trnopolje)
« On parlait ensemble surtout des familles. On essayait d’avoir des nouvelles. À part ça, on n’avait pas réellement du sujet pour parler. Quand on trouvait un journal, c’était un journal vieux de plusieurs mois. Donc, nous parlions et une nuit, à Manjaca, les Serbes sont arrivés et pour nous faire taire, ils ont tiré dans le tas. » (Manjaca)
« Ils battaient les gens jusqu’à ce qu’ils s’évanouissent. Puis, ils leur mettaient une planche sur la tête et ils donnaient un coup de bâton sur la planche. C’est de cette façon qu’ils tuaient les gens. »
« Il y avait des trappes et quand on y tombait, on était fini. » (Omarska)
« Ils tuaient n’importe qui, des jeunes, des adultes, des vieux. Ils disaient que c’était des combattants mais c’est faux. Les combattants étaient sur le front. Il s’agissait en majorité de civils, d’innocents. Et tout d’abord, les gens qui avaient des fonctions particulières : les intellectuels, les membres du parti musulman. » (Omarska)
« Je n’ai rien dit aux journalistes parce que je savais que ceux qui essayeraient d’approcher les journalistes seraient tués. » (Omarska)
q Les promesses de libération non tenues sont un moyen redoutable de désespérer les détenus et de les pousser à la défaite mentale.
« Tous les jours, on nous disait que nous allions être libérés. » (Manjaca)
q Les victimes sont parfois contraintes de signer de fausses déclarations (notamment des aveux de culpabilité) participant ainsi à leur propre mise en danger.
« Les Serbes, quand on veut quitter la Bosnie , exigent qu’on remplisse 12 points. Par exemple avoir payé l’eau, le gaz, l’électricité. »
« On a du signer un papier comme quoi on quittait volontairement le pays. C’est paradoxal puisque le désir des Serbes, c’est qu’on quitte la Bosnie. On doit avoir une attestation pour le gouvernement croate et pour les Serbes prouvant qu’on sera pris en charge en Croatie ».
4.2. Les conséquences de la torture
J’ai rencontré ces jeunes hommes peu après leur libération. Il ne m’est donc pas possible de témoigner de leur souffrance à long terme.
q Les douleurs peuvent tout autant être la conséquence de la souffrance psychique que des séquelles des brutalités physiques.
« J’ai une maladie à l’oreille et j’ai des douleurs épouvantables dans la tête. Je ne peux pas me soigner à Zagreb parce que je n’a’ pas de papier. »
« Je suis malade. J’ai mal à la tête , je n’arrive pas à respirer »
q Les symptômes psychotraumatiques
ð Les reviviscences et le désir d’oubier
« J’ai toujours cette image devant les yeux. Je ne peux pas dormir. »
« J’ai peur de m’endormir à cause des cauchemars dans lesquels je revois ce que j’ai vécu dans les camps de concentration. »
« Actuellement, je ne peux pas dormir sur un lit normal. Je ne peux dormir que très bas sur le sol. Je ne rêve pas souvent. Je n’ai pas de quoi rêver. Parfois, j’ai des images de meurtre que j’ai vu à Omarska et ça me réveille. Quand ça m’arrive, je prendrais du poison pour me calmer mais c’est inutile. Si ça m’arrivait encore, je me tuerais tout de suite. Je préférerais la mort. »
« J’ai envie d’oublier en mettant la musique fort. »
« Je vaudrais partir loin, quitter ma famille aussi, ne plus voir personne, pour tout oublier. Je pense que je suis capable d’oublier. J’étais le plus jeune détenu d’Omarska. »
ð L’activation neurovégétative
Une mère parlant de son fils : « Il n’est plus comme avant. Il n’arrive pas à dormir. Il se réveille en sueur parce qu’il a des cauchemars. Il ne veut plus rien manger. Il est très nerveux. Avant, c’était un garçon calme. Maintenant, il est très excité, il explose pour un rien. »
ð L’impression d’avenir bouché.
« On attend pour m’envoyer au front que j’aie l’âge. Ce sera pour la prochaine mobilisation. Mon futur ? D’être tué sur le front… »
« Je n’ai pas de projet, je n’ai même pas de papiers. »
ð La transformation identitaire
« Je ne peux pas être le même qu’avant, j’ai vu trop de choses ».
ð Les troubles du comportement
Une mère en parlant de son fils : « Il est toujours triste. Avant la guerre, il avait plein de projets. Et puis, il boit aussi maintenant »
ð Le désir de vengeance
« Moi, je me dis, un jour, dans dix ans, dans un temps, je reviendrai et je retrouverai ceux qui m’ont maltraité. »
ð L’indicible
« Je peux en parler un peu mais c’est difficile. Je n’ai pas les mots, je ne sais pas comment dire ».
« Je n’ai jamais raconté tout ça a personne, pas même à ma famille. Je suis triste de raconter tout ça. »
q Les conséquences psychosociales
ð Les difficultés familiales dues au traumatismes de plusieurs de ses membres
« Mon mari et un de mes fils sont encore dans le camp de concentration. Mon autre fils vient d’être libéré et il est ici avec moi et ma fille mais il va bientôt partir pour l’étranger. On ne sait pas encore où il sera envoyé. On attend. On vit pour un coup de fil. On espère avoir de bonnes nouvelles bientôt »
« J’ai deux garçons. Ils ont tous les deux beaucoup souffert. Ils ont des troubles dus au traumatisme de guerre. L’un à 21 ans et l’autre 23 ans. Un a été dans un camp de concentration pendant 68 jours. L’autre a combattu en Bosnie sur le front d’août à décembre 1992. »
ð Les conditions de vie précaires dans les camps de réfugiés
« Les jours sont monotones. Je ne peut pas sortir en ville parce qu’il n’y a pas de savon pour le moment dans le camp. Je ne peux pas me laver et je ne sens pas bon »
« Vous voyez la chambre fait 9 m² , il y a trois lits et on est neuf personnes ».
ð L’exil et l’éclatement de la communauté
« J’ai 16 ans. Je viens de Kosarac. J’ai deux frères. Un des deux a été dans le camp de concentration de Trnopolje. Maintenant, il est en Nouvelle-Zélande. J’ai deux sœurs, elles sont parties en Suisse. Mes parents sont ici, dans le camp, à Zagreb. »
« On a été libéré par la Croix-Rouge l’après-midi. À peu près 1000 personnes. On est arrivé à Karlovac et de là, beaucoup ont été envoyé partout dans le monde : au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Grande-Bretagne. On a aussi reçu des vêtements de la Croix-Rouge. On est tous dispersés partout dans le monde, on ne pourra plus jamais être rassemblés comme avant ».
« Je sors du camp de concentration. Je suis bosniaque. Les Bosniaques qui sortent des camps de concentration sont envoyés à l’étranger. Je n’ai pas le choix du pays parce qu’il y a des réfugiés de l’ex-Yougoslavie partout dans les pays d’Europe et sur d’autres continents. »
« J’ai 19 ans. Je viens d’arriver. Je suis (au camp de réfugiés de Zaprude à Zagreb) dans la chambre avec ma mère, ma sœur, mon frère de 21 ans qui a été prisonnier à Trnopolje. Mon père est resté à Prijedor. J’ai été au camp d’Omarska puis dans celui de Trnopolje. Pour le moment, mon père est « détenu en liberté » dans des maisons musulmanes. Il est libre mais sous contrôle. Il n’a pas le droit de circuler comme il l’entend. Moi, j’ai reçu des papiers de la Croix-Rouge qui certifient que j’ai été incarcéré dans les camps de concentration et je vais immigrer à l’étranger. On attend. Mon frère a lui aussi ses papiers. Le HCR[45] a déjà proposé le Canada mais j’ai refusé parce que c’est trop loin. Je voudrais aller en Hollande ou en Suède. J’attends. Je ne peux pas rester , je n’ai pas le choix, c’est la décision du HCR. Même si tout est détruit, j’aimerais revenir un jour en Bosnie parce que la terre, on ne peut pas l’emporter. Elle est toujours là. »
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« Déclaration de Tokyo de l’Association Médicale Mondiale. Directives à l’intention des médecins en ce qui concerne la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en relation avec la détention et l’emprisonnement. » http://prisonsenturquie.free.fr/D%E9claration%20de%20Tokyo%20de%20l’Association%20M%E9dicale%20Mondiale.html
« Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 39/46 du 10 décembre 1984. Entrée en vigueur: le 26 juin 1987, conformément aux dispositions de l’article 27 (1) » http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/h_cat39_fr.htm
Convention Interaméricaine pour la Prévention et la Répression de la Torture » (Adoptée à Cartagena de Indias, Colombie, le 9 décembre 1985, lors de la quinzième session ordinaire de l’Assemblée générale), http://www.cidh.org/Basicos/frbas6.htm
L’auteur
Sites de l’auteur :
http://www.stressaeronautique.netfimrs.com : articles professionnels et tous publics sur la peur de l’avion
http://www.psychologiehumanitaire.netfimrs.com : site consacré à la psychologie humanitaire. Articles sur le stress des expatriés, le débriefing psychologique, les thématiques humanitaires (enfants des rues, torture, violence sexuelle, traumatisme dans les catastrophes humanitaires, etc.)
http://www.resilience.netfimrs.com: Articles sur le traumatisme psychique, les enfants malades, l’hypnose, la thérapie brève, etc.
http://www.acouphenes.netfimrs.com : site consacré aux acouphènes. Articles destinés aux psychothérapeutes prenant en charge des patients atteints d’acouphénie et articles tous publics
Evelyne Josse est psychologue diplômée de l’Université Libre de Bruxelles. Elle est formée à l’hypnothérapie éricksonienne, à l’EMDR et à la thérapie brève.
Elle exerce en qualité d’expert en hypnose judiciaire auprès de la Justice belge et pratique en tant que psychothérapeute en privé. Elle est également consultante en psychologie humanitaire.
Elle a travaillé pour différentes ONG dont « Partage avec les enfants du Tiers Monde », « Avenir des Peuples des Forêts Tropicales », « Médecins Sans Frontières-Belgique » et « Médecins Sans Frontières-Suisse ».
Passionnée d’ULM 3 axes (type avion), elle a mis sur pied avec Thierry Moreau de Melen, un ami pilote, le programme ASAB (Anti Stress Aéronautique Brussels).
Auparavant, elle a également travaillé pour Médecins Sans Frontières-Belgique. Elle a exercé dans des hôpitaux universitaires auprès d’adultes atteints du VIH/SIDA et auprès des enfants malades du cancer. Elle a également été assistante en faculté de Psychologie à l’Université Libre de Bruxelles.
D’autres articles on-line du même auteur sont disponibles :
Traumatisme psychique et maladie grave
Sur http://www.resilience.netfirms.com :
– Accueillir et soutenir les victimes de violences sexuelles. Approche orientée vers la solution
– Le développement des syndromes psychotraumatiques. Quels sont les facteurs de risques ?
– Victimes, une épopée conceptuelle. Première partie : définitions
– Le vécu de l’enfant atteint d’une maladie cancéreuse. Diagnostic et première hospitalisation
– Le vécu des parents d’un enfant malade du cancer
– Métaphore et Traumatisme psychique
– La torture de masse. Le cas de l’ex-Yougoslavie
– Les violences sexuelles. Définitions d’un concept multiforme
Stress et traumatisme du personnel expatrié
Sur http://www.psychologiehumanitaire.netfirms.com :
– Les expatriés dans la tourmente. Le stress humanitaire
– Les expatriés à l’épreuve des séismes
– Comment faire? Le débriefing psychologique des expatriés affectés par un incident critique
– Comment gérer le stress dépassé lié à l’expatriation ?
– Commet gérer le stress traumatique survenant dans le cadre d’une expatriation ?
– Le défusing du personnel expatrié affecté par un incident critique
– Le débriefing psychologique dans un cadre professionnel
– Le soutien immédiat et post-immédiat des expatriés affectés par un incident critique
– Le soutien psychosocial des équipes humanitaires. De l’incident critique à la prise de décision
Problématiques humanitaires
Sur http://www.psychologiehumanitaire.netfirms.com :
– Guide pour un assessment rapide des besoins psychosociaux et en santé mentale des populations affectées par une catastrophe naturelle
– Le traumatisme dans les catastrophes humanitaires
– Reconstruire le quotidien après un traumatisme collectif. Éloge du quotidien, de la routine, des rites et des rituels
– Les enfants des rues. L’enfer du décor
– Violences sexuelles et conflits armés en Afrique
Divers
Sur http://www.stressaeronautique.netfirms.com :
– Stress aéronautique. Peur de voler, phobie de l’avion, panique à bord
Sur http://www.resilience.netfirms.com :
– Familles en difficulté. Guide à l’intention du psychothérapeute orienté vers la solution
Sur http://www.acouphenes.netfirms.com :
– Les acouphènes. Traitement par l’hypnose
[1] Sironi, Françoise, « Victimes et bourreaux. Psychologie de la torture », Editions Odile Jacob, Paris 1999
[2] « La torture ou l’humanité en question », http://web.amnesty.org/library/Index/fraACT400132000?open&of=fra-369
[3] « Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août 1949 », http://www.helpicrc.org/DIH.nsf/FULL/375?OpenDocument
[4] Unité paramilitaire serbe dirigée par un royaliste ultra-nationaliste Serbe Draza Mihailovic, les Tchetniks comprenaient surtout des combattants serbes, de tendance monarchiste et nationaliste serbe. Ils constituaient le bras armé de la résistance serbe au gouvernement pro-nazi installé par Hitler.
En 1941, l’Allemagne envahit la Yougoslavie. Les Tchetniks opposeront une résistance farouche à l’envahisseur allemands et à leurs alliés. Au début, ils feront cause commune avec les partisans du Croate Josip Broz dit Tito, chef de file d’un mouvement communiste regroupant des résistants de toutes nationalités. En désaccord sur l’avenir de la Yougoslavie de l’Après-guerre (monarchie centralisée et autoritaire dominée par les Serbes comme avant guerre pour Mihailovic et fédération de républiques égales en droit pour Tito), les deux mouvements de résistance deviendront rapidement ennemis et se combattront mutuellement.
Les Oustachis (en croate, Ustaše), « les Insurgés », mouvement nationaliste et fasciste croate, est fondé en 1929 par Ante Pavelic dans le but de renverser la monarchie et de contrer la prédominance serbe sur le « Royaume des Serbes, Croates et Slovène » (premier nom donné à la Yougoslavie fondée en 1918). En 1941, la Croatie conclut une alliance avec l’Allemagne nazie afin d’échapper à la domination serbe sur la Yougoslavie. Les Oustachis créent plusieurs camps de concentration et exterminent de nombreux Serbes, Juifs, Tsiganes et opposants, notamment les communistes Croates.
Les partisans de Tito vont libérer la Yougoslavie et en 1945, Tito crée la nouvelle République fédérale socialiste de Yougoslavie, composée de 6 Républiques ( la Slovénie , la Croatie , la Bosnie-Herzégovine , la Serbie , le Monténégro et la Macédoine ) et de 2 provinces autonomes au sein de la Serbie (le Kosovo et la Voivodine ). Il en sera le président jusqu’à sa mort, en 1980. Après sa disparition, les tensions et les sentiments nationalistes, longtemps contenus par le pouvoir central, réapparaissent dans les différentes républiques fédérées.
[5] Cour International de Justice, Rôle général n° 91, enregistrée au Greffe de la Cour , le 20 mars 1993, Requête de la République de Bosnie-Herzégovine, http://www.lawschool.cornell.edu/library/cijwww/cijwww/cdocket/cbhy/cbhyorders/cbhy_capplication_19930320.htm
[6] Ibidem
[7] Ibidem
[8] « Déclaration de Tokyo de l’Association Médicale Mondiale. Directives à l’intention des médecins en ce qui concerne la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en relation avec la détention et l’emprisonnement. » http://prisonsenturquie.free.fr/D%E9claration%20de%20Tokyo%20de%20l’Association%20M%E9dicale%20Mondiale.html
[9] « Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 39/46 du 10 décembre 1984. Entrée en vigueur: le 26 juin 1987, conformément aux dispositions de l’article 27 (1) » http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/h_cat39_fr.htm
[10] Cette convention fait suite à la Déclaration de 1975 qui contenait une définition similaire de la torture. Cette Déclaration de 1975 constitue le premier pas décisif dans la lutte contre la torture.
[11] « Convention Interaméricaine pour la Prévention et la Répression de la Torture » (Adoptée à Cartagena de Indias, Colombie, le 9 décembre 1985, lors de la quinzième session ordinaire de l’Assemblée générale), http://www.cidh.org/Basicos/frbas6.htm
[12] « La torture ou l’humanité en question », http://web.amnesty.org/library/Index/fraACT400132000?open&of=fra-369
[13] Traduction de « learned helplessness », selon la théorie générale des effets de l’incontrôlabilité de Seligman. Seligman, M. P. E., “Helplessness : On depression, development, and death”, San Francisco, Freeman, 1975.
[14] Les suffocations sont reprises également dans les techniques instrumentales car elles nécessitent un objet usuel tel qu’un bassin ou un chiffon. La privation de motilité sont reprises dans les positions non physiologiques.
[15] Une technique connue depuis la dictature de Pinochet (Chili) est le « telefono ». Elle consiste à frapper la victime sur les oreilles, ce qui provoque douleurs, acouphènes et surdité.
[16] Les éclats de verre et de cailloux peuvent être laissés intentionnellement dans la chair de la victime.
[17] D’autres articles du même auteur abordent en détail les violences sexuelles : « Les violences sexuelles. Définitions d’un concept multiforme », http://www.victimology.be/fr/articles/violences_sexuelles_definitions_d_un_concept_multiforme.pdf, 2006 et « Accueillir et soutenir les victimes de violences sexuelles. Approche orientée vers la solution », http://victimology.be, Zone professionnelle, articles, 2006.
[18] une victime est agressée à plusieurs reprises
[19] la victime est agressée par plusieurs assaillants
[20] « U » pour « Ustaše », Oustachis en français (« les Insurgés »), mouvement nationaliste et fasciste croate, fondé en 1929 par Ante Pavelic. Durant la deuxième guerre mondiale, les membres de l’organisation ont exterminé plusieurs centaines de milliers de Serbes, de Juifs, de Tsiganes et d’opposants, notamment les communistes Croates.
[21] « Ce témoin a aussi raconté comment un Musulman de Kozarac, qui avait possédé une motocyclette, fut torturé en présence d’autres témoins. On le frappa violemment sur tout le corps et on lui cassa les dents à coups de poing. Ensuite, les gardes serrèrent une des extrémités d’un fil de fer autour de ses testicules et attachèrent l’autre à sa motocyclette. Puis un garde monta sur la motocyclette et démarra à toute vitesse. », extrait de « Cour International de Justice, Rôle général n° 91, enregistrée au Greffe de la Cour , le 20 mars 1993, Requête de la République de Bosnie-Herzégovine, http://www.lawschool.cornell.edu/library/cijwww/cijwww/cdocket/cbhy/cbhyorders/cbhy_capplication_19930320.htm
[22] Les traumatismes complexes sont à rapprocher des traumatismes de type III définit par Solomon and Heide.
[23] Herman, J. “Trauma and recovery : The aftermath of violence from domestic abuse to political terror”, New York, Basic Books, 1997.
[24] Pour plus d’informations sur les différents types de traumatisme, voir l’article d’Evelyne Josse « Le traumatisme dans les catastrophes humanitaires », http://www.victimology.be/fr/articles/Traumatisme_catastrophes_humanitaires.pdf, 2006
[25]militaires, policiers, agents des pouvoirs publics, responsables de la sécurité, etc.
[26] On parle de queue de stress lorsque les réactions de stress ne s’éteignent pas immédiatement lorsque cesse le danger mais persistent plusieurs jours.
[27] Somnier, F., Vesti, P., Kastrup, M., Genefke, I. K., “Psycho-social consequences of torture : current knowledge and evidence”, in Basoglu, M.(Ed.), “Torture and its consequences : current treatment approaches”, NY, Cambridge Univ. Press, 1992.
[28] Genefke, I., Vesti, P., “Diagnosis of Governmental Torture” in Jaranson, J., Popkin, M.K. (Eds.), “Caring for victims of torture”, Washington DC, APP, 1998.
[29] Le sentiment de culpabilité peut être dû à la confrontation à la mort de proches ou au fait d’avoir communiqué des informations pouvant mettre en danger des personnes. Ces informations sont souvent obtenues par des techniques de « choix impossible », où la victime doit « choisir » entre donner des renseignements ou être torturé. Malgré le caractère paradoxal de la situation, les victimes finissent par se sentir responsables de leurs choix et éprouver un profond sentiment de culpabilité. Il ne faut cependant pas surestimer la notion de « culpabilité du survivant ». Ce sentiment est déterminé par la culture, la philosophie et la religion du sujet, les événements pouvant être attribués à la responsabilité personnelle, à la volonté d’un dieu ou du destin.
[30] La clinophilie est la tendance à passer la quasi-totalité de la journée dans son lit, en somnolant plus qu’en dormant.
[31] Voir supra, les violences sexuelles.
[32] Vote, ancienneté, concours, rites de passage, etc.
[33] les objets sacrés, de rituels et de folklore, les vêtements traditionnels, etc.
[34] “Obedience to Autority : an experimental view”, Harper Collins, NY, 2004 (edition originale : 1974)
[35] in Bacry, D., Ternisien, M., « La torture : la nouvelle inquisition », Paris, Fayard, 1980.
[36] Le taux d’obéissance a été plus élevé que dans les expériences effectuées par Milgram.
[37] Rappelons que la convention de Genève exige de chacun qu’il refuse d’exécuter des ordres qui la violeraient.
[38] cité par De Gasparo S., Iametti P., Torregianni C., sans titre, http://membres.lycos.fr/intellective/mem_ok4.doc
[39] ce fût par exemple le cas avant le génocide des juifs durant la seconde guerre mondiale, avant l’épuration ethnique de tout ce qui n’est pas Serbe durant la guerre en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1995 (cf. infra) et avant le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994 (la tristement célèbre radio « Mille collines » restent dans les mémoires).
[40] Pour rappel, les fascistes croates Oustachi sont responsables de la mort d’un grand nombre de Serbes durant la Deuxième Guerre mondiale.
[41] L’administration d’Hitler usa d’une expression similaire, « judenrein » (« purifié de juifs »),pour qualifier la déportation et le génocide des juifs.
[42] Le camp de Manjaca a commencé à fonctionner dès 1991 lors de la guerre en Croatie. Dès le début de l’année 1992, des civils bosniaques y ont été retenus.
[43] Du 24 mai 1992 au 30 août 1992.
[44] Pour rappel, les Ustaše, nationalistes et fascistes croates ont pactisé avec Hitler et massacré de nombreux Serbes. Or, il est évident que ces jeunes gens de moins de 20 ans n’ont aucune responsabilité dans les horreurs perpétrées par certains de leurs ancêtres.
[45] Haut Commissariat pour les Réfugiés